Optimiste quant à l'avenir d'un Mouvement du 20 février que d'aucuns disent récupéré, ou mort, Ahmed Bouz, professeur de sciences politiques à l'Université Mohammed V Souissi, défend le bien-fondé du courant et analyse les raisons de sa survie, présente et future. A l'origine de la révolte populaire, le Mouvement du 20 février alimente, aujourd'hui, des débats houleux après l'approbation par l'écrasante majorité du peuple marocain de la nouvelle Constitution. Alors que le Maroc s'apprête à organiser des élections législatives censées tourner une nouvelle page en ouvrant les portes à une monarchie parlementaire, une question se pose avec acuité : quel rôle pourra ou devra encore jouer le Mouvement du 20 février ? Ahmed Bouz, professeur chercheur à la Faculté de droit de Rabat (Université Mohammed V-Souissi), analyse la situation politique dans laquelle évolue actuellement le mouvement. Pour lui, le 20 février gagnerait à se transformer en mouvement de veille. Vous avez suivi la naissance et l'évolution du Mouvement du 20 février. Quelle constat en faites-vous aujourd'hui ? Ayant suivi pas à pas le parcours de ce mouvement, trois observations sont à retenir. La première est que nous sommes face à un mouvement de protestation unique en son genre dans l'histoire du Maroc, pas seulement parce qu'il a sorti les débats politiques des sièges des partis vers la rue, mais surtout parce que sa composition est hétéroclite de point de vue de l'appartenance politique. Par le passé, nous ne pouvions pas imaginer l'extrême gauche et les islamistes unis, même les plus radicaux, dans une marche. Le Mouvement du 20 février a réussi à rassembler les différentes tendances politiques autour des mêmes revendications nationales appelant à l'éradication de la corruption et la réforme de la Constitution. La seconde observation concerne justement la réussite du Mouvement du 20 février à transformer la rue en force politique, un réel moyen de pression à tel point que l'échiquier politique en a fait une référence. Ce sont finalement les réactions de la rue qui ont mené la trajectoire de cet échiquier. « C'est une erreur de croire que le Mouvement 20 février se limite à ce groupe de jeunes qui envahit les rues à la fin de chaque semaine ». La troisième constatation concerne la durée de vie du Mouvement du 20 février, qui malgré tout, a conservé son dynamisme et sa virulence depuis plus de six mois. Ceci, malgré les tests auquels le Mouvement a fait face : l'hétérogénéité de ses composantes et la répression. Le 20 février a traversé la tempête sans perdre des plumes. Le constat est que le Mouvement s'effrite, son influence diminue et sa composition aujourd'hui dominée par le poids des islamistes d'Al Adl Wal Ihssane. Quel rôle devrait jouer le Mouvement du 20 février à quelques semaines des élections ? Au lendemain du référendum, les militants du Mouvement du 20 février se sont posé cette question. Les uns estiment qu'il était nécessaire pour le Mouvement de continuer son action en conservant ses revendications d'avant, l'instauration d'une monarchie parlementaire en premier. Tandis que d'autres croient que l'action devrait s'atteler à la concrétisation des termes de la nouvelle Constitution. Au fond, je ne pense pas que les deux tendances soient opposées. Le Mouvement pourra continuer à projeter son action en se focalisant toujours sur son principe constitutionnel, puisque la monarchie parlementaire n'est pas chose acquise. Il peut en même temps suivre la concrétisation du nouveau texte à travers sa participation aux prochaines élections. Etant donné que l'éventualité de voir ce Mouvement se transformer en parti politique relève de l'impossible, il peut toujours jouer un rôle important dans la lutte contre la corruption. Il pourrait se transformer en mouvement de veille pour la transparence des législatives et soutenir les candidats des partis qui y adhérent si ces derniers décident de se présenter aux élections. Un Mouvement de « veille citoyenne » vient d'être constitué par la société civile alors que de jeunes cadres du privé et du public ont créé une Alliance des indépendants pas plus tard que le 7 août. Comment qualifiez-vous cette effervescence ? Je pense qu'elle est entièrement logique et légitime cette effervescence. Nous vivons une période de l'histoire où la liberté prend son envol ouvrant de grandes portes à toutes les expressions. Mais, il est à souligner que certaines de ces associations suscitent des questions sur leur indépendance et leur portée en tant que dynamique sociale. Ne l'oublions pas, après les attentats du 16 mai, plusieurs associations sont nées ,nourries par la colère ou la nervosité. Aujourd'hui, on se demande où sont passées ces associations et ceux qui en ont été à l'origine. L'action du mouvement est-elle menacée par une concurrence que pourrait susciter la multiplicité des mouvements ou associations ? Le Mouvement du 20 février n'est pas menacé. D'abord, parce qu'il est enraciné dans la société. Le Mouvement qui réussit à mobiliser des milliers de personnes à travers toutes les régions n'est certainement pas marginal, contrairement à des associations élitistes qui naviguent dans un espace réduit. Enfin, si je suis convaincu que le Mouvement ne risque rien, c'est aussi parce qu'il fait de son idéologie le réel moteur de sa dynamique. C'est une erreur de croire que ce Mouvement du 20 février, c'est ce groupe de jeunes qui envahit les rues à la fin de chaque semaine. En réalité, ce Mouvement est avant tout un principe qui s'est ancré dans la mémoire des Marocains et les a convaincus de sortir dans la rue pour exprimer leur refus de la situation politique, économique et sociale. Tous ceux qui protestent aujourd'hui contre une autorité ou autre, lèvent la banderole du 20 février. Voilà pourquoi le Mouvement n'est pas encore mort et voilà pourquoi il défie toute concurrence.