Trois organisations internationales des droits de l'Homme ont rendu public, mercredi, un rapport sur les violations des droits de l'Homme commises dans le cadre de la répression des manifestations de l'après-Ben Ali. Le rapport sur la situation des droits de l'Homme, publié mercredi, se base sur une mission menée conjointement par la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (LTDH). Sur les lieux du 20 au 27 mai, les enquêteurs ont recueilli de nombreux témoignages de manifestants victimes de répression à Tunis, Kasserine et Siliana. Les récits sont souvent similaires, mettant en évidence des pratiques d'une extrême violence, réalisées en présence de policiers cagoulés et lors d'arrestations massives et arbitraires. Passage à tabac et actes de torture restent ainsi encore monnaie courante dans la Tunisie post-révolutionnaire. Les témoignages pointent du doigt l'usage disproportionné de la force par les Forces de sécurité intérieure (FSI), autrement dit la police tunisienne. Par exemple, Ezzedin Guimouar affirme avoir été frappé jusqu'à perdre connaissance, alors qu'il participait pour la première fois à un rassemblement pacifique à Tunis, après la chute de Ben Ali. Ou encore Mohamed, jeune gérant d'une pizzeria à Siliana, qui raconte être en fuite depuis fin avril après avoir retrouvé son commerce et son domicile saccagés fin avril par la police. Motif ? « Ils m'ont ciblé parce que depuis le 14 janvier, je ne voulais plus les laisser manger sans payer », explique-t-il. Des pratiques qui rappellent celles de l'ère Ben Ali, même si des « avancées ont été réalisées », souligne le rapport. Le document tient toutefois à installer une nuance. Il ne s'agit pas d'une répression systématique, mais bel et bien d'une « répression organisée et décidée au plus haut niveau », dont l'objectif est d'instaurer la peur chez les manifestants. Plusieurs éléments appuient cette hypothèse. Tout d'abord, le fait que des brigades viennent en renfort de Tunis pour les manifestations à Siliana et Kasserine montrent le caractère organisé de la répression. De même pour le port de cagoules. Interrogé par la commission d'enquête, le ministère de l'Intérieur, Habib Essid n'a pas contesté la réalité de ces actes, qu'il a qualifiés de « dépassements ». Selon lui, ces violations des droits de l'Homme sont des pratiques isolées, sorte de « réflexes » hérités du passé. Même si des enquêtes internes sont ouvertes par le ministère, celles-ci ne bénéficient d'aucune garantie d'indépendance ni de transparence. De plus, même si pour la première fois, des tribunaux ont accepté de prendre acte d'allégations de torture, le rapport constate de sérieux dysfonctionnements au sein des systèmes policier et judiciaire, nourris par l'absence de volonté politique. Une réforme en profondeur de la police est urgente, accompagnée par une lutte contre l'impunité persistante. « La réponse doit être judiciaire, elle doit permettre aux victimes de voir leurs bourreaux jugés équitablement, et de voir la possibilité d'accéder à des réparations. C'est à cette condition que la réconciliation des citoyens tunisiens avec leurs forces de sécurité sera possible », conclut le rapport. Et c'est à cette condition que la Tunisie s'engagera sur la voie d'une véritable démocratie, conformément à la demande du peuple tunisien.