La frontière algéro-marocaine s'est ouverte très fraternellement, à l'occasion du Salon international de l'édition et du livre, pour accueillir la traduction française de «Haschich», d'abord paru à Constantine chez Media Plus et réédité chez Afrique-Orient, éditeur casablancais. L'encre utilisée pour cette réédition est plus pâle que celle choisie à Constantine, mais ne boudons pas notre plaisir puisque «Haschich», auquel je consacrai une chronique il y a quelques mois, est un roman attachant et grave. Il a été traduit, souvent avec grâce par Huguette Devalière et Francis Gouin aidés par l'auteur. Hélas, dans un premier temps, les noms des traducteurs ont été omis sur la couverture de l'ouvrage, aussi bien qu'à l'intérieur. L'inconvénient majeur de cette pratique casablancaise sûrement involontaire, c'est qu'elle laisse croire que Youssef Fadel serait un romancier de langue française. Certes, le scénariste du «Coiffeur du quartier des pauvres», film de feu Mohamed Reggab qui me demeure inoubliable, a écrit deux pièces de théâtre directement en langue française. D'abord, «Les enfants du pays» paru chez Acoria en 1998 et ensuite «Je traverse une forêt noire» publié aux éditions Théâtrales à Paris. Ce n'était pas une raison pour punir (involontairement) Huguette Devalière et Francis Gouin, ce dernier ayant déjà eu le mérite de traduire «Le Mausolée» de Abdelghani Abou el Azm qui, sans doute pour éviter que son propre nom disparaisse de la couverture de ce beau récit d'une enfance marrakchie, auto-édita cette traduction dûment attribuée à Gouin. Rassurons-nous quant au sort des trois traducteurs sur la couverture de «Haschich». Le cher Camille Hoballah a promis de réparer son omission en collant une bandelette réparatrice. S'agira-t-il d'autocollants ou d'étiquettes à lécher une par une ? Dans tous les cas, cet exemple montre bien que, dans l'édition au moins, on n'hésite pas à créer l'emploi. La situation est plus dramatique dans «Haschich» dont les protagonistes sont privés d'emploi et se démènent, non sans mélancolie. La publication au Maroc de la traduction française de ce roman va heureusement accroître le public de Youssef Fadel dont plusieurs titres ont paru en arabe aux éditions Le Fennec. «Haschich» avait ainsi été publié en 2000, tandis qu'en 2009 «Qissat hadikat al hayaouane» (qui deviendra en français «Une histoire de zoo», en cours de traduction) connut un succès que l'auteur hésite à qualifier de retentissant, malgré sa réputation méritée… et ses quatre cents pages. J'avais aimé dans «Haschich» la subtilité avec laquelle le romancier parvenait à rendre palpables les émotions et les inquiétudes de Myriem et Hassan, comme du frère de celui-ci affublé du sobriquet de «philosophe». Youssef Fadel sait nous convaincre de la réalité des angoisses qu'il dessine, marelle sur laquelle s'agitent ou bien demeurent tétanisés des êtres divisés entre le désir de fuir, de «brûler», et le souhait de s'épanouir – mais comment ? – ici et maintenant. Le charme de «Haschich» tient d'abord à ce respect du romancier pour ces personnages assaillis de doutes et montrés sensibles, intelligents, plus volontaires que velléitaires mais comme absorbés par une sorte de fatalité ambiguë. ce qui me reste de cette lecture, c'est cependant le souvenir d'un art de paysagiste, qu'il s'agisse du paysage que sont les âmes ou des paysages comme accompagnés par la phrase plutôt que décrits. Lorsque les vagues frissonnent dans «Haschich», le lecteur, lui aussi, se met à frissonner. Tous les romans de Fadel n'ont pas cette tonalité grave. Lui-même ne rechigne pas à rire aux larmes lorsque l'occasion se présente. Il peut même se payer sa propre tête lorsque je l'interroge sur «Une histoire de 300″ : «Quand Mohamed Choukri autoéditait ses livres à Casablanca et qu'il venait me voir, je l'emmenais sur ma moto et nous allions ensemble au zoo. Tel oiseau, m'assure Youssef, nous rappelait notre ami le romancier et nouvelliste Zefzaf, l'auteur de «l'œuf du coq», tel autre nous semblait mériter d'être comparé au nouvelliste et chroniqueur Driss El Khoury et enfin, le chauve, c'était presque moi.» Evidemment, on n'en est pas à espérer que la girafe du zoo se plonge dans la lecture de «Haschich» dont vient si heureusement de paraître la traduction que vous savez. Mais vous, puisque vous le savez, bonne lecture ! u