Une étude du département de l'Environnement tire la sonnette d'alarme sur les dangers du mercure, métal hautement toxique et présent un peu partout. Une action urgente s'impose. Le débat s'ouvre au Maroc sur la problématique du mercure, un métal hautement toxique responsable d'une variété de maladies allant de la fatigue aux problèmes de reins ou des poumons, des troubles respiratoires, neurologiques aux cancers… Ce polluant est même désigné par certains scientifiques comme le «tueur» de ce siècle. On le retrouve partout : dans les vaccins, dans les amalgames dentaires, dans les lampes à basse consommation, les piles électriques, les batteries… impossible de l'éviter. Certes, il est présent naturellement dans l'environnement, toutefois, ce métal est aujourd'hui principalement émis par des activités humaines. Pour attirer l'attention sur cette problématique et la nécessité d'agir d'urgence, l'Association d'éducation environnementale et de protection des oiseaux au Maroc (SEEPOM) a organisé lundi 17 janvier à Rabat une rencontre débat à laquelle ont pris part les ministères de la Santé et de l'Industrie, le Centre antipoison, le département de l'Environnement et les associations. Les industriels, premiers concernés par cette problématique à cause des rejets de mercure provenant de leur activité, n'ont pas répondu présents. Le département de l'Environnement, conscient de la gravité de la situation au Maroc, a effectué une étude dont les résultats sont pour le moins alarmants. Bien que non exhaustive (le secteur minier non inclus), l'étude rapporte des révélations de taille. Les décharges publiques contiennent de fortes concentration de mercure. Le Département a axé son étude sur la décharge de Mediouna dont la teneur en mercure s'est révélée très élevée. « Ce métal lourd toxique provient également des rejets industriels, notamment de l'activité cimentière. Le mercure rejeté dans l'environnement émane également de certains procédés industriels, notamment ceux liés à l'industrie de chlore-alcali », notent les auteurs de l'étude. Le mercure provient également des rejets des installations thermiques au charbon. En somme, le Maroc rejette 9 tonnes de mercure par an. «Il s'agit d'une estimation approximative. Les rejets sont plus énormes, puisque le secteur minier n'a pas été diagnostiqué», note Ahmed Jaâfari, secrétaire général de la SEEPOM, qui met en garde contre les thermomètres à mercure. Certes, ces appareils sont bannis au Maroc depuis octobre 2010. Une circulaire du ministère de la Santé a mis fin à leur commercialisation sur le marché national. Le département de Yasmina Baddou a motivé sa décision par le risque de développer des « lésions traumatiques locales, des plaies cutanées et des intoxications en cas d'ingestion de mercure ou d'inhalation des vapeurs de mercure ». Car le danger survient en cas de bris. L'intoxication se manifeste alors par des troubles respiratoires. Solution ? Le thermomètre électrique. « Cependant, des thermomètres à mercure circulent toujours », déplore cet acteur associatif qui met en garde contre le composant du mercure le plus dangereux, à savoir le méthylmercure. Ce dernier est très toxique pour le système nerveux. Des études au niveau international ont apporté des preuves tangibles que le méthylmercure peut provoquer des cancers chez l'homme. L'exposition à ce métal pendant la grossesse peut porter atteinte au fœtus. Où retrouve-t-on le méthylmercure ? L'exposition à ce composant se fait principalement à travers l'alimentation, surtout le poisson. «Les émissions du mercure dans l'environnement contaminent l'air, le sol, les nappes phréatiques. Le méthylmercure s'accumule dans les poissons, notamment les requins et le ton. Les sardines contiennent une faible teneur», explique Ahmed Jaâfari. Pour avoir un diagnostic plus détaillé de la situation au Maroc, les participants à la rencontre ont appelé à dépêcher une étude épidémiologique. La rencontre débat du lundi a été également l'occasion de discuter de l'action internationale entreprise ces dernières années visant à diminuer voire à supprimer à terme l'usage du mercure. Le Programme des Nations Unies pour l'environnement se penche sur l'élaboration d'un instrument juridiquement contraignant sur le mercure. Le traité sera prêt en 2013 et son entrée en force est prévue de 2014 à 2017. u INTERVIEW Dr. Hanane Chaoui, toxicologue, chargée des intoxications par métaux lourds au CAPM* « Les Marocains ne sont pas assez sensibilisés » Spécialiste en toxicologie, le Dr. Hanane Chaoui revient, dans cet interview, sur les dangers que représente le mercure, notamment avec l'utilisation des thermomètres à mercure dans le domaine médical. Quand le mercure devient-il un danger ? Le mercure fait partie des métaux lourds. Il se présente essentiellement sous deux formes : le mercure métallique et les dérivés organiques. Le premier est le plus fréquent, puisqu'il est utilisé dans le thermomètre à mercure, instrument de mesure de température corporelle qu'on trouve principalement dans les foyers et les établissements hospitaliers. Il devient dangereux lorsque le thermomètre se brise ou se casse. Le rejet du mercure métallique dans l'atmosphère, surtout en cas de chaleur, est un danger parce qu'il peut être inhalé et donc provoquer chez une personne et plus particulièrement chez l'enfant des intoxications aigües ou chroniques. Ces inhalations peuvent ainsi de façon aigüe provoquer des manifestations respiratoires et de façon chronique l'encéphalopathie et l'atteinte rénale. Pour éviter cela, il faut absolument éviter l'utilisation de ces thermomètres. A ce propos, le CAPM a émis, en 2010, une alerte appelant à bannir l'utilisation de cet instrument. Quel en a été l'impact ? Pour éviter l'utilisation du thermomètre à mercure, il faut d'abord instaurer une législation. Ce qui n'est pas le cas pour le moment, mais c'est en cours d'élaboration. En France, le mercure a été complètement retiré du marché et interdit d'utilisation. Au Maroc, la commission de pharmacovigilance vient de statuer sur le retrait et a émis des recommandations pour qu'il soit interdit à l'avenir. Le CAPM réitère sa demande d'interdire l'utilisation de ces thermomètres surtout dans les foyers. Et pour cause, la population, en général, ne sait pas comment affronter les cas de bris et de cassure du thermomètre. Il ne faut absolument pas utiliser de balai ou d'aspirateur pour ramasser le mercure. Le balai peut le disperser dans toute la maison et l'aspirateur dégage de la chaleur qui le réchauffe et favorise donc son inhalation. On ne doit pas non plus le jeter dans les dépôts car cela contamine la nappe phréatique. Et au moyen des bactéries qui se trouvent dans les eaux, il se transforme en mercure organique qui contamine toute la chaîne alimentaire, particulièrement les poissons. Ce qui génère un autre cycle d'intoxications. Alors, comment faut-il agir lorsque le thermomètre à mercure est cassé ? Dès que le thermomètre est cassé, il faut aérer la pièce, arrêtez le chauffage et éloigner les enfants comme si on était exactement face à une émanation de gaz. Le fait de se blesser, et même si le mercure pénètre par voie orale ou transcutanée, ne présente pas de risque aussi important que lorsqu'il est inhalé. Le mercure métallique n'est pas absorbé à l'ingestion. Il faut ramasser les billes de mercure dans un papier et les neutraliser avec du souffre. Le CAPM a effectué une étude pour s'assurer de l'efficacité de cette méthode. La fleur de souffre est disponible chez les herboristes. L'idéal donc, c'est d'en avoir à la maison par précaution. Le CAPM conseille ainsi d'utiliser, à la place du thermomètre à mercure, celui électrique. Ce dernier est disponible et accessible : son prix se situe entre 35 et 70 dirhams. Dans les hôpitaux comme dans les foyers, il est temps d'opter pour ce changement. Au-delà du thermomètre à mercure, sommes-nous exposés à ce métal dans notre environnement ? Bien sûr, il faut savoir que le mercure se trouve dans tous les instruments de mesure, car il permet la précision. Il se trouve également, sous forme de dérivé organique, dans le poisson surtout le gros poisson. Des signes de toxicité peuvent ainsi se manifester, mais nous ne savons pas s'il y a des cas au Maroc. Nous ne disposons pas de documentation concernant le sujet. Au CAMP, les statistiques dont nous disposons révèlent un chiffre de 53 cas d'intoxications par le mercure entre 1987 et 2007. C'est le résultat des appels téléphoniques que nous avons reçus pour des cas de cassure de thermomètre à mercure. A ce propos, j'attire l'attention sur le fait que le citoyen marocain n'est pas assez sensibilisé à cette problématique. Un thermomètre qui se casse est toujours considéré comme une banalité. u * Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc. Leïla Hallaoui