A l'occasion du centenaire de la naissance de Jean Genet, le 19 décembre dernier, Tahar Ben Jelloun a livré un remarquable essai sur cet auteur aux mille frasques et scandales. Récit d'une amitié dont la sincérité n'a d'égale que la justesse des mots. Rares sont ceux qui eurent la chance de réellement connaître Jean Genet. Homme sauvage, impénétrable, engagé, incisif, voleur, menteur, sublime enfin. Qui fallait-il être pour que ce monstre maudit de la littérature française s'intéresse à vous ? Un Palestinien certainement. Un homme sans aucun doute. Un artiste, humble et brillant. Genet choisissait ses fréquentations. Il refusait les sollicitations. Ses véritables amis, il les contactait lui-même, selon ses envies et sa disponibilité. C'est ce qu'avait compris Tahar Ben Jelloun quand, dans sa petite chambre de la cité universitaire parisienne, il entendit pour la première fois la voix du célèbre auteur des «Bonnes» : «Je m'appelle Jean Genet, vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais, je vous ai lu et j'aimerais vous rencontrer…». Ben Jelloun pense d'abord à une blague : «C'est de l'humour, le monde à l'envers». Cet appel aux allures d'un cadeau du ciel marque le début d'une amitié «exigeante, intermittente, proche et en même temps à éclipses» qui durera jusqu'à la mort de Jean Genet, en 1986. Une amitié faite de longues discussions sur la cause palestinienne, l'engagement de Genet pour les Black Panthers et les Brigades rouges, le visage de la France des années 70 et ses relations avec le Maghreb. Autant de sujets rappelant la force et l'investissement de cet intellectuel à l'esprit révolutionnaire, aussi fragile que fuyant. Car «Jean Genet menteur sublime» n'est pas seulement un livre hommage. Il est avant tout l'ouvrage d'une amitié, le regard d'un auteur sur un autre, d'un disciple sur son maître. Un regard nourri de tendresse, de sincérité et d'admiration. D'une incroyable justesse, et dont la plus grande qualité est de ne jamais basculer dans le plaidoyer gratuit et aveuglé. Jean Genet était l'homme des contradictions et mieux que quiconque ,Tahar Ben Jelloun est à même d'en extirper les faiblesses. Hautement critiqué suite à la publication de son article «Violence et brutalité», perçu comme un soutien au terrorisme, Genet se prête à l'exercice d'un question/réponse, intégralement retranscrit dans cet essai. «Je tenais à retranscrire ce dialogue pour montrer combien Genet pouvait être agaçant, insaisissable, se contredisant, soutenant ce qui me semblait insoutenable comme la politique de l'Union soviétique de l'époque, alors qu'en d'autres temps, il aurait été horrifié par ce pays et son idéologie totalitaire», explique Ben Jelloun. Pourtant là encore, la condamnation ressemblerait presque à une tape sur l'épaule entre vieux amis. Il en est ainsi des personnalités sulfureuses. Ben Jelloun dresse le portrait d'un homme honnête –malgré tout, certainement pas raciste, quoiqu'en disent les critiques. Le portrait de celui qui fut surtout le plus précieux de ses lecteurs. celui qui lui apprit l'art d'être humble quand on est écrivain.