Migration et hybridité : le paradigme Maghreb-Europe». Cet intitulé vient de réunir à Fès grâce notamment aux efforts de Moha Ennaji et Fatima Sadiqi, deux linguistes, des intervenants passionnés. Les colloques ne sont pas seulement l'occasion d'entendre des communications académiques. Il arrive que des chants liés à la thématique choisie s'élèvent depuis les rangs du public. Une telle heureuse surprise, je l'avais déjà éprouvée au Salon international de l'édition et du livre à Casablanca, ce printemps. Un débat autour des chants de l'émigration m'avait valu le plaisir de retrouver un enseignant à la Faculté polydisciplinaire de Khouribga, Haddou Khettouch, dont je savais qu'il avait eu jadis pour instituteur le romancier et nouvelliste Moha Souag. Le voici à nouveau, ce cher Haddou, qui est venu spécialement de Khouribga à Fès pour le 6e Festival de la culture amazighe (1-4 juillet 2010) où ont été invités dans une atmosphère particulièrement sympathique des intervenants tels que Fatima Mernissi, Ahmed Noukous, Mohamed Taïfi, Maâti Kabbal, Fatima Boukhris ou encore Houssain El Moujahid auquel il a été rendu hommage pour l'occasion. La voix de Haddou Khettouch –dont le patronyme signifie littéralement «petit mouton maigre»- a transmis à l'auditoire quelque chose de la verve de la chanteuse Hadda Ouakki : «Mon père qu'irais-je faire au lycée ? Je veux les rochers où rejoindre mon ami» Cette complainte de l'école buissonnière entonnée par un professeur, cela ne manquait pas d'ambiguité en cette période où les aspirants bacheliers ont tellement tremblé pour leurs notes. Un deuxième morceau nous fut interprété qui évoquait l'émigration et ses effets sur les villages : «O France sorcière ! Celui qui débarque appelle l'autre à le rejoindre !» L'avocat souiri Hassan Id Belqacem, attaché à l'Institut royal de la culture amazighe est intervenu avec éloquence et précision, en tamazight, sur un thème qui faisait écho aux vers que nous avons cités : «les droits linguistiques et culturels amazighs dans les pays de l'immigration et les accords bilatéraux». Il a été fort intéressant d'entendre Fatima Sadiqi étudier l'attachement au Maroc des Marocaines de la troisième ou quatrième génération vivant aux Pays-Bas et la nouvelle construction identitaire de l'individualité par laquelle elles affichent une vision non traditionnelle au Maroc. Ce fut aussi l'occasion de découvrir un site web néerlandais, très révélateur de cette identité amazighe dans le pays que nous raconte Fouad Laroui, en observateur participant, dans son recueil de chroniques «Des bédouins dans le polder». El Houssain el Moujahid a réfléchi à ce que signifie l'expérience de l'immigration dans les poèmes chantés par les rways (chanteurs) au Maroc : vision édénique et vision dantesque. Leurs chansons sont des chansons-gazettes selon l'expression de Paulette Galland. Azaykou, lui-même poète, écrivait des lettres pour les émigrés qui le lui demandaient. C'est tout un corpus riche d'espoirs, de mélancolie, de promesses et de détails sur la vie quotidienne et la vie rêvée qui nous a été présenté. Les forçats du travail qu'estampillaient Mora pour les mines, El Moujahid les compare aux artistes sous contrat précaire. Didier Le Saout (Université de Paris s'est exprimé sur «Migrations et amazighité» au Maroc et en Algérie. Au début du XXe siècle, ce sont les régions amazighophones qui ont fourni l'essentiel de la migration vers la France. L'un des aspects évoqués par Le Saout, c'est la production d'un imaginaire qui s'alimente du localisme mais est pris dans un mouvement globalisant. La richesse des thèmes abordés et le grand nombre des intervenants, majoritairement des universitaires, ont amené l'assistance à éprouver peut-être une impression de tournis. Les orateurs furent contraints d'aller au plus court. Il n'empêche qu'on aurait aimé plus de précision dans les stimulantes suggestions de Khalid Zekri autour de l'hybridité culturelle et de l'ambivalence productive au Maroc. Ecoutant Charles Bonn évoquer «La colline oubliée» de Mouloud Mammeri, je n'ai pu m'empêcher de songer à ce que donnerait une comparaison de ce livre fondateur avec le très beau récit d'Ali Tizilkad «La colline de papier». On a pu apprécier l'invitation que fit Smaîn Laâcher à ne pas abdiquer son esprit critique quand on est universitaire. Sa communication sur les violences qui sont faites aux femmes durant le voyage clandestin dans les sociétés maghrébines a frappé les esprits. C'était cela le Festival de la culture amazighe et bien d'autres choses comme ces rencontres rendues possibles autour d'un thème aussi passionnant.