Qui a vu une seule fois Essaouira n'a de cesse de la revoir. Alors que dire de ceux qui y sont nés ? Il y a de quoi être hanté. Je pense à la nostalgie qu'en éprouve sûrement Mourad Akhay, le jeune Souiri qui arracha aux eaux de l'Arno un Italien désemparé. Et ce sauvetage eut lieu peu après que Mourad eut confectionné une chaise sur une scène, comme il le faisait dans l'atelier de vannerie auquel il appartenait. Une vie sauvée, en Italie, grâce au soin qu'avait pris André Serré de faire participer Mourad à sa lecture de mon roman «Tu ne traverseras pas le détroit» lors d'une édition du Festival d'Avignon. L'ancienne Mogardor du «Soulier de Satin» de Paul Claudel devenue cette Essaouira dont le charme fascine, à qui viendrait-il l'idée de la relier au nom d'une chanteuse inuit ? La question ne se pose plus depuis le 27 juin. En effet, Sainkho Namtchylak a été invitée à chanter à Essaouira et plus exactement à Ounara, qui se trouve sur la route d'Agadir et où avait lieu, me dit-on, une «house warming party». Sainkho Namtchylak possède une voix qui semble émaner du ciel autant que de la terre. Elle naquit dans un petit village de la République de Tuva, en Sibérie méridionale, à la frontière de la Mongolie. Cette interprète des chants lamanistes et chamaniques de Sibérie a enregistré un disque en Italie, ce qui nous ramène en somme au vannier Souiri Mourad auquel son courage altruiste valut une carte de séjour au pays de Manna Lisa. Essaouira reliant tous les mondes intérieurs, c'est bien le sentiment que donne la lecture du roman d'Ami Bouganim «Le charmeur de mouettes» (La chambre d'échos, 2005). La mère du narrateur, lequel est devenu avocat à Paris, lui a donné ce viatique : «Quand tu sauras, mon fils, te contenter d'un croûton de pain et d'une poignée d'olives, tu seras le plus libre et le plus heureux des hommes». Il y a sans doute quelque sagesse dans ses propos, mais on se demande bien pourquoi de tels conseils ne sont supposés excellents qu'à destination des pauvres. Un beau passage du «Charmeur de mouettes» qui est la confession hallucinée d'un homme né de père inconnu, c'est celui où la mère, née comme son fils à Essaouira, entreprend, dans son exil parisien de célébrer ce qu'elle dit être le bicentenaire de Mogador : «Elle était possédée par cette ville. Elle aurait sûrement aimé la revoir avant de mourir. Dans sa détresse, elle relevait le teint de sa solitude de pétales de roses, d'anémones et de coquelicots». Touffu et même confus, le roman de Bouganim n'en est pas moins prenant. On voudrait citer à la chanteuse Sainkho Namtchylak ce passage où Ami Bouganim fait dire à Miloud : «Rassurez-moi, dîtes-moi que je suis toujours accordé, que mes fibres intérieures sont au diapason de mes cordes». Il faut être né à Essaouira comme Ami Bouganim pour écrire que la vie «réside dans ce débordement de sensualité que marmonnent les vagues, chuchotent les araucarias, insinuent les regards». C'est à cela que songe le narrateur du «Charmeur de mouettes» dans cette rue de Paris qui s'appelle rue de Magador. Là même où Nathalie Mei, brodeuse inouïe comme on est chanteuse inuit, a choisi de me montrer ses créations, des carrés bordés, concentrés de houle et de douceur, qui réclament chacun un mois de navigation de l'aiguille et qu'elle expose à partir du 27 juin-là même où la chanteuse inuit aura sidéré tous ceux qui l'entendront.