«Aucun article, aucune photo ne vaut une vie». C'est par ces propos poignants que l'Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d'information (WAN-IFRA) titre une interview du journaliste mexicain en exil Luis Najera. Réalisée à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse (que l'association célébrera sur le thème des «journalistes en exil»), cette interview rapporte l'expérience d'un journaliste obligé de fuir son pays pour préserver sa vie et celle de sa famille. Un témoignage parmi tant d'autres et un journaliste parmi des centaines à travers le monde qui fuient une vie menacée et qui s'ajoute à la longue liste d'affaires d'agressions, de harcèlements voire de meurtres, encore non résolues. Et pourtant, selon la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, «tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit». Déclaration qui aura incité les Nations unies, une quarantaine d'années plus tard, à adopter la Déclaration de Windhoek (Namibie), le 3 mai 1991, pour la promotion de médias indépendants et pluralistes. Dix-neuf articles, qui exigent l'établissement, le maintien et la promotion d'une presse libre, indépendante et pluraliste. Un élan de bonne volonté qui aura contribué, ces années-là, à l'essor du paysage médiatique au niveau mondial, et particulièrement en Afrique. La liberté de la presse est alors synonyme du développement d'une nation vers un Etat démocratique et l'essor d'une économie équilibrée. Nous retrouverons, par exemple, entre les lignes de cette Déclaration, un appel à la libération des journalistes emprisonnés par les Etats africains, «pour témoigner de leur bonne foi» et une incitation à (ré)ouvrir les portes à ceux qui ont «été obligés de quitter leur pays». Moins de 20 ans après l'adoption de cette déclaration, les nations se retrouvent à compter leurs morts, prendre sous leurs ailes des journalistes en fuite, ou faire de la place dans leurs prisons pour accueillir des professionnels des médias incriminés. Jeudi dernier, l'Institut national de sécurité de l'information (INSI) publiait un communiqué aux chiffres alarmants : dix-sept journalistes morts uniquement en avril 2010. Soit un mort toutes les 36 heures, dont neuf ont perdu la vie lors des quatorze derniers jours. «C'était le mois le plus sanglant enregistré pour les médias en cinq ans», note l'INSI. Pire encore ! En quatre mois, la profession porte le deuil de 42 confrères décédés dans 22 pays. Mais encore. Selon le baromètre de la liberté de la presse, de Reporters sans frontières (RSF), 296 journalistes sont emprisonnés (dont 9 collaborateurs et 120 Net-citoyens). Malheureusement, le Maroc ne fait pas l'exception. Classé 127e sur 175 pays, selon Reporters sans frontières, il compte encore un journaliste emprisonné depuis bientôt sept mois, et un cyber-citoyen sous les verrous. Néanmoins, le Royaume peut être fier d'une date, celle du 28 janvier 2010, qui a vu le lancement du dialogue national «Médias et Société» dans l'hémicycle de la Chambre des députés. Quoi qu'on dise, malgré les déboires de certaines entreprises de presse, le paysage médiatique marocain assiste à travers ce débat aux efforts d'une possible réconciliation avec l'Etat et les pouvoirs en place.