Jean-Paul Lugan : Auteur et Coach Les Echos : Face aux complexités de l'environnement, comment la PME peut-elle mieux s'en sortir? Jean-Paul Lugan : Ce qui va sauver une entreprise demain, ce sont deux compétences, l'innovation et la souplesse. Les entreprises de demain doivent avoir une organisation organique et non mécanique. La différence entre les entreprises asiatiques et les entreprises européennes se trouve justement à ce niveau. Dans notre modèle, on définit un chemin et on s'y tient, quel que soit le prix à payer. Dans le modèle asiatique, on est inflexible dans le management des hommes, mais on change de cap dès qu'on se rend compte que le chemin pris n'est pas le bon. Le grand problème est que dans notre modèle, la remise en cause n'est pas systématique. Pour mettre en place une organisation organique, la PME doit réussir l'alchimie entre la gestion des hommes et la gestion des process. C'est-à-dire qu'elle doit laisser une marge d'autonomie suffisante aux hommes et faire en sorte qu'il fasse bon vivre au sein de l'organisation. Les équipes n'étant pas sous pression deviennent plus créatives et plus innovantes, et gèrent mieux les difficultés. Nous voyons souvent des PME très performantes à leur début, mais qui très vite arrivent à bout de souffle. Comment peut-on expliquer cette situation ? La réussite a ses revers, cela est bien connu. Et comme dans le mythe d'Icare : «Plus on est proche du soleil, plus on peut se brûler les ailes». Le plus souvent, on fait face rapidement au revers de la réussite quand croit détenir la vérité et quand les modèles deviennent immuables. Certains dirigeants construisent tout un lot de raisons pour justifier leurs erreurs managériales. On observe dans les entreprises que, plus les gens montent dans la hiérarchie plus ils nourrissent leur ego. Or, l'ego est un frein à l'apprentissage et à la performance. Lorsqu'on fait le parallèle avec le monde du sport, on remarque aussi un phénomène paradoxal. Plus un sportif est de haut niveau, plus il s'entraîne. Dans l'entreprise c'est le contraire, plus on monte dans la hiérarchie ou plus on réussit, plus on acquiert des certitudes et moins on se forme. Une autre raison pour laquelle les PME arrivent à bout de souffle, est que très peu disposent d'une cellule anticipative (cellule de veille). D'ailleurs, dans nos cultures quand est-ce qu'on va voir un médecin? C'est quand on est malade, jamais quand tout va bien. Ces mêmes réflexes se reproduisent dans la gestion des entreprises. On dit également qu'on ne change pas une équipe qui gagne. Alors comme on ne change pas une équipe qui gagne, on court droit dans le mur pour peu que le modèle qui a été mis en place ne corresponde plus à l'environnement. À ce niveau, s'inspirer du management sportif peut permettre de tirer de bonnes leçons. Comme dans une équipe de foot, ce qu'il faut faire dans une entreprise qui gagne, c'est d'amener de temps à autre quelques éléments de l'extérieur qui vont bousculer le système et faire en sorte que l'intelligence collective qui existe dans l'équipe puisse être remuée. C'est ainsi que les gens éviteront de se complaire du confort de leurs habitudes. Quelle serait la bonne attitude à observer par le dirigeant de la PME en transformation ? Le dirigeant doit savoir que ce n'est pas parce qu'on sait gérer dix personnes qu'on sait en gérer cent et inversement. Car le modèle qui a fait son succès au début peut ne plus être adapté quand l'entreprise commence à grandir. Il y a deux approches à ce niveau : si le patron veut garder tout le contrôle de son business, il vaut mieux limiter le rythme de la croissance. Mais s'il a envie de croître, il faut qu'il accepte de partager le leadership. C'est-à-dire qu'il doit s'entourer de gens ayant des compétences que lui-même en tant que patron ne possède pas. Or, ce qu'on voit souvent, c'est que les patrons des PME en pleine transformation acceptent de recruter de nouvelles compétences, mais ont du mal à partager leur pouvoir. Le dirigeant doit donc accepter l'émergence d'un processus de décision qui va permettre à ces talents de s'exprimer. C'est de cette manière qu'il pourra passer de patron de PME à dirigeant d'une grande entreprise. Cette réticence des dirigeants à partager le leadership explique-t-elle le turnover et l'infidélité des cadres qui deviennent monnaie courant dans les PME ? Oui. Car, il y a des talents qui ne demandent qu'à être fidèles à l'entreprise dans laquelle ils travaillent mais on ne leur offre pas toujours cette opportunité. Les cadres ne recherchent plus seulement un salaire numéraire élevé, mais surtout un package comportant un salaire mental important (développement de l'employabilité, formation, motivation, évolution). En France, les enquêtes RH montrent que ce n'est pas dans les entreprises qui offrent une rémunération plus intéressante que les gens restent, c'est au contraire dans les entreprises où les cadres ont un salaire décent, où ceux-ci sont impliqués et motivés, et où le management est orienté plus vers la performance que vers le résultat, que les gens font carrière. Si l'on veut garder un jeune talent, il faut manager sa performance et si l'on veut le perdre, il faut manager ses résultats. Théoriquement, les dirigeants comprennent bien ces aspects, c'est leur ancrage dans la réalité de l'entreprise qui fait défaut. D'où vient cet écart entre discours et pratique managériale ? Cela vient essentiellement du fait que, les dirigeants ont du mal à manager avec courage. Dans le management, le courage, c'est l'aptitude d'un individu à deux choses : le don de soi et le dépassement de soi. Pour un manager, le don de soi, c'est aller au-delà de ses propres besoins pour comprendre et satisfaire les besoins de son équipe (se mettre à son service). Le dépassement de soi, c'est sortir de sa zone de confort et se demander comment faire plus que ce qu'on attend de moi. Malheureusement, ces comportements sont souvent absents dans les entreprises. C'est pour cela d'ailleurs, que dans les comités de direction, il y a beaucoup de décisions qui sont prises et peu sont mises en application. En fait, les dirigeants, comme tout un chacun, sont des individus en 3D (une tête, un cœur et un corps). L'individu peut bien penser dans sa tête, mais pour passer à l'action les gens n'ont pas toujours le cœur, ils ont peur, donc le corps ne suit pas. Par exemple, selon des enquêtes, la France est classée parmi les pays ayant des entreprises à culture féminine. C'est une culture où on a une forte aversion du risque, ce qui pousse les gens à tout verrouiller et fait que certains dirigeants préfèrent s'entourer de béni-oui-oui. Pour changer cette attitude, le manager doit être formé à la communication, à l'écoute et à la compréhension des différents langages émotionnels de ses équipes. Le manager est là pour s'adapter aux autres et non le contraire. Bio express Auteur des ouvrages, Manager au quotidien, Manager avec courage et du Changement sans stress, parus aux éditions Eyrolles, Jean-Paul Lugan est également consultant, formateur et coach. À travers son cabinet conseil DIA LOGOS, il intervient auprès des plusieurs grandes entreprises françaises, et forme en moyen 600 managers par an sur les différentes problématiques de ses domaines de prédilection, qui sont le management d'équipe, la conduite du changement et les techniques de communication. Cadrage Dans nos entreprises, le management des hommes comme de process est donc truffé d'idées reçues, de convictions fortes mais contreproductives, d'egos mal canalisés... qui engendrent des erreurs de gestion et mettent en péril la performance. Ces aspects se manifestent plus et deviennent décisifs, surtout dans les moments de turbulence ou quand l'entreprise en pleine croissance se doit de changer de cap. C'est en tout cas, ce que nous révèle Jean-Paul Lugan dans l'interview qu'il nous a accordée, lors de son passage à Casablanca le 8 mars dernier. Voici quelques-unes de ces révélations : l'adage qui dit qu'on ne change pas une équipe qui gagne, par exemple, est bien ancré dans nos mœurs et fait généralement office de loi dans le fonctionnement de nos entreprises. Les managers sont fiers de leurs équipes qui performent et font tout pour ne changer ni le cap, ni les modèles qui réussissent. C'est une erreur monumentale, nous explique Jean-Paul Lugan, « Ne pas changer l'équipe qui gagne, c'est courir droit dans le mur pour peu que l'environnement ne soit plus favorable». De même, sur le volet formation, les entreprises ne forment que leur middle management ou les collaborateurs considérés comme les moins performants. Mais ceux qui réussissent bien, gravissent les échelons et dirigent l'entreprise oublient généralement qu'ils ont des lacunes et ne pensent plus à se former. Selon Jean-Paul Lugan, c'est une manière de plomber la performance. Pour comprendre cette analyse, faites le parallèle avec le monde du sport et demandez-vous pourquoi, plus un sportif réussit et devient un compétiteur de haut niveau,plus il s'entraîne....