Tu connais Si Laroussi ? Il est... euh... comment on t'appelle, au fait ? Chroniqueur, c'est ça ? En général, je dis oui sans même réfléchir. Après tout, c'est comme ça qu'on me qualifie, alors pourquoi me compliquer l'existence ? Certains, surtout ceux qui ont une dent contre moi, préfèrent m'appeler billettiste, mais j'ai l'impression qu'ils le font dans un but réducteur : il écrit un petit billet, et en contrepartie, il reçoit un autre petit billet. Si jamais je leur montre ma note d'honoraires, ils risquent d‘en avaler leur dentier. À vrai dire, je ne sais pas ce que le mot «chroniqueur» veut dire au juste. Si j'essaye d'analyser ce que je fais, ou plutôt, dans mon cas, ce que j'écris, je pourrais me définir comme un «délireur» attitré, avec comme mission de donner mon avis sur tout et sur tout le monde, qu'on me le demande ou pas. Je commente ce que je veux, j'écris ce que je veux sur qui je veux, ou mieux, je tire, je «satire» sur qui je veux, en plus en toute liberté et en toute impunité. Ceci dit, je fais gaffe quand même. Je peux écrire n'importe quoi, mais pas sur n'importe qui. Il ne faut pas exagérer non plus. On est au Maroc, comme pourrait me le rappeler l'autre. Ah, si je pouvais être ailleurs, me dis-je, souvent ! Eh bien, ça tombe bien, aujourd'hui je suis ailleurs, même si, hélas, ce n'est que pour quelques jours, et j'ai eu l'occasion d'en parler avec certains de mes amis d'ici, et, par conséquent, d'y réfléchir un peu plus sérieusement. J'espère que cette réflexion va être salutaire pour moi. Car, franchement, et je n'ai pas le droit de vous le cacher, plus j'écris, plus je me sens... comment dire ... responsable. Oh le grand mot ! Le gros mot, devrais-je dire. Parce qu'un chroniqueur, c'est quelqu'un qui est, par essence et par définition, «irresponsable». D'ailleurs -simple hasard de la lexicologie ?- Le chroniqueur passe son temps à taper sur les ... responsables. C'est même souvent, comme c'est mon cas, son «fonds de commerce». En vérité, c'est l'actualité, et plus précisément celle de nos amis les Gaulois, qui m'a poussé à cette réflexion métaphysique inattendue et impromptue. Vous avez sûrement entendu parler de cette polémique déclenchée, par un curieux concours de circonstances, par deux chroniqueurs qui n'ont rien de commun si ce n'est leur jeu favori permanent et... chronique : la provoc. L'un, Eric Zemmour joue partout, comme l'a si bien dit Jean-François Kahn dimanche soir sur France 3, au «réac de service», et il semble y trouver un malin et néanmoins malsain plaisir. L'autre, Stéphane Guillon, est humoriste, plutôt acerbe et caustique, ce qui ne l'a pas empêché de revêtir l'habit de chroniqueur tireur d'élite sur les élites. Le premier vient de faire une sortie stupide et nulle, encore une, sur les Arabes et les Africains qui constituent, selon lui, le plus gros du peloton de la délinquance en France. Le second, est allé jusqu'à accuser Eric Besson d'être «une taupe du FN», et tout en rappelant son «menton fuyant», le compare à une fouine, qui est, comme chacun sait, un animal qui fait des ravages dans les poulaillers. C'est vrai qu'il n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Cela dit, faut-il pendre Zemmour ou enfermer Guillon, ou le contraire ? Plus sérieusement, jusqu'où un chroniqueur peut-il aller trop loin ? Tenez ! Quelle serait votre réaction si un jour, je me permettais, de traiter, par exemple, (Biiiiiiip), avec son gros ventre, de saoulard donneur de leçons, et de le comparer de vilain renard bouffeur de gentils lapins ? Comment ? Ce n'est pas gentil ? Et lui, alors ? Et puis, après tout, j'ai le droit de dire ce que je veux : je suis chroniqueur, MOI ! Quelqu'un n'est pas content ?