Il n'y a plus rien ! C'est parce que j'ai plein de choses à vous dire que je ne sais plus par quoi commencer. Je dois être peut-être fatigué. C'est vrai, ça doit être ça. Croyez-moi, ce n'est pas évident. Il faut être fou pour faire ce que je fais. Oui, c'est vrai, je suis fou, mais je ne pensais pas l'être à ce point. Si je continue comme ça, je vais devenir vraiment dingue. Si vous pensez que c'est facile d'être billettiste au jour le jour, vous n'avez qu'à essayer. Vous aurez beau passer une nuit blanche à cogiter sur ce que vous allez raconter, si, au petit matin, vous avez un seul petit doute, c'est foutu ! Il faut recommencer depuis le début. Réfléchir et non re-fléchir. Vous, vous êtes peinards. Vous payez votre canard à 3 sous - non, pardon, celui-ci c'est à 4 et c'est plutôt bon marché - et, avec ça, vous vous offrez du bon temps sur mon dos. Vous, vous ne dites rien et, petits malins, vous me laissez tout dire. Je vous entends d'ici : «Vas-y, rapporte-nous ce qu'ils ont fait, dénonce leurs méfaits, montre-leur qu'ils ne sont que des rigolos, rappelle-leur leurs origines de classe ou de caste, mets-les à nu pour qu'on profite de la vue, fais-nous marrer sur leur compte, fais-les chialer, ne t'arrête pas, s'il te plaît, continue, c'est trop drôle...». Et moi, comme un vieux soldat, pas bête, mais discipliné, chaque jour que Dieu fait, je joue au clown, les yeux rouges par manque de sommeil et un trident entre les dents, pour que vous, vous puissiez, en toute impunité, rigoler, à mes frais, sur le compte tout le temps créditeur des grands et des pas toujours puissants de ce pays. Et moi, pauvre de moi , chaque jour je me lance à l'affût du non dit que je change en mieux dit, de l'insolite que je transforme en insolence et du vicieux que je travestis en irrévérencieux. Et, bien entendu, c'est ça qui vous fait marrer. Et je suis sûr qu'après, vous allez raconter à vos petits copains tout ce que vous avez lu, comme une bonne blague de potache, sans oublier, bien sûr, de leur dire qui l'a écrit. Non ! Ce n'est pas de la pub, c'est de la délation. Vous ne le faites pas exprès, peut-être, mais en allant fanfaronner partout en citant mon nom, vous contribuez à m'enfoncer chaque jour, alors que moi, en haussant le ton au quotidien, mon seul objectif, c'est d'élever le débat qui, hélas, tombe chaque jour de plus en plus bas. Mais, ça y est, je dis : pouce ! Je ne joue plus ! Je ne dirai plus rien. Rien de rien ! D'ailleurs, je n'ai plus rien à dire. J'ai tout donné. Pardon : on m'a tout pris. Et même si, par exemple, vous me suppliez de revenir pour continuer de tout vous dire, je ne le pourrais pas, parce que, je vous le répète, je n'ai plus rien à dire. J'ai tout dit. Et pour tout vous dire, à cause de vous, je suis devenu maudit. On ne m'aime plus. Je ne parle pas de vous. Vous, évidemment, si vous m'aimez, c'est par intérêt. Parce que je vous fais marrer. Non, je parle des gens de «là-haut», ceux qui décident de vous élever très haut, au paradis, au 7e ciel s'il le faut, ou/et de vous rabaisser jusqu'au fin fond et de vous laisser tomber dans les tréfonds de l'enfer. Ce sont eux et rien qu'eux qui m'intéressent aujourd'hui. C'est vers eux que je me dirige et pour eux que je me repentis. Je n'ai pas peur et je ne suis pas un lâcheur. J'ai juste envie, moi aussi, de monter un peu là-haut pour voir comment c'est. Il paraît, comme me l'a rapporté récemment une girouette, que ça vaut le détour. Est-ce que je n'ai pas le droit, moi aussi, de me faire tourner la tête ? Ne dites rien, et laissez-moi rêver... À demain, si vous le voulez bien.