«Un concentré de plus de 40 ans de création 100% marocaine». C'est ce que propose la première édition de «Kool Pub», lancée jeudi 25 mars à l'initiative du Reda Hilali. Organisé par la Casa Del Arte, l'événement vise à rendre hommage aux quarante ans de création publicitaire au Maroc. Au programme des rencontres, une exposition d'affiches et des projections des meilleures publicités marocaines. Une première édition qui débute timidement, mais ambitionne déjà de mettre en place le premier musée virtuel de la publicité marocaine. Drôle de pub Quarante ans de publicité et pourtant, avouons-le, dans ce domaine le Maroc n'est pas au mieux de sa forme. Pis encore, après quelques années de gloire, il est aujourd'hui obligé de recourir à des créatifs étrangers pour sortir la tête de la banalité. Ce qui n'est d'ailleurs pas mieux, puisqu'un créatif français, tunisien ou américain ne peut être au fait de la culture marocaine de la même manière qu'un créatif local. Et malgré quelques bonnes campagnes (à gros budget), les publicitaires marocains ont encore du mal à communiquer avec le grand public. En témoigne l'un des précurseurs, Noureddine Ayouch : «Dans les années 80-90, la publicité au Maroc connaissait un véritable essor. Depuis le début des années 2000, on constate une stagnation, si ce n'est une régression de la créativité nationale. Aujourd'hui, les pays de la région MENA et du Maghreb sont en avance sur nous, et de très loin». Ce que confirme Azzeddine Lazrak, directeur de la première école supérieure de communication et de publicité au Maroc (Com'Sup), qui déclare que «les concepteurs-rédacteurs marocains laissent encore à désirer. Ils n'ont pas encore compris comment aborder le public marocain». Un triste constat que Monique Elgrichi, directrice de l'agence Mosaïk, ne partage pas. Dans le métier depuis 30 ans, elle relève, a contrario, une «très bonne évolution». Et ajoute même que «nous sommes un des rares pays d'Afrique (avec l'Afrique du Sud) à avoir une industrie publicitaire et surtout une culture publicitaire ! Et les chiffres parlent d'eux- mêmes». C'est vrai qu'en 2009, le Maroc a largement dépassé ses voisins en termes d'investissements publicitaires (560 millions de dollars US, contre 100 millions en Tunisie et 167 millions pour l'Algérie, selon Hassen Zargouni, président de l'Open SIGMA), mais les chiffres ne mesurent pas la créativité, du moins en ce qui concerne les concepts publicitaires. La quasi-absence du Maroc de la dernière édition du Cristal MENA festival en est la preuve. Ayouch nous explique que, «en tant que membre du jury, j'ai pu constater à quel point nos voisins sont en avance sur nous». Par contre, il faut bien le reconnaître, la création «technique», elle, est bien là. «Nous avons développé la créativité média», affirme Elghrichi. «Dans la presse, l'affichage, la création radio aussi - depuis l'explosion des chaînes spécialisées -, sans oublier l'évènementiel, le street-marketing». Azzedine Lazrak, lui, se dit fier et «agréablement surpris par la création en termes de production graphique qui, aujourd'hui, est à la hauteur des créations de pays tels que le Portugal ou la Tunisie». Les publicitaires marocains seraient-ils donc des techniciens très créatifs, et de très mauvais créatifs tout court? La course continue Comme le rappelle Monique Elghrichi, «la vocation d'un bon publicitaire est de prévoir les grandes tendances et d'être un peu en avance sur les vrais courants sociétaux». Au Maroc, le créatif semble courir le 100 m, en tentant de rattraper la société. De l'avis d'Elghrichi, «ce sont les pubards et leurs clients (qu'il a fallu convaincre !) qui ont accompagné l'émergence de la darija. De même pour la nouvelle scène ou encore l'émancipation des femmes marocaines». Or la darija n'est pas apparue il y a 10, 20 ou même 30 ans. La femme s'est émancipée grâce à l'action de la société civile, et non grâce aux muscles de M. Propre. Fils de pub Face à ces avis partagés, il y a lieu de se demander si les publicitaires marocains n'ont pas compris un public qui est le leur, comment un professionnel venu d'ailleurs, aussi expérimenté soit-il, arrivera, lui, à trouver l'idée qui marche. Pour Elghrichi, la question ne se pose pas : «Beaucoup de créatifs sont Marocains et depuis quelques années déjà. De plus, la pub est universelle, donc les bons peuvent exercer partout!». Ayouch, de son côté, parle de formation: «L'école marocaine n'a pas formé assez de créatifs. Nous sommes obligés de faire appel à des compétences étrangères». Et pour peu que ces rares compétences locales soient prises en charge par les agences elles-mêmes, le Maroc ne pourra pas avancer s'il n'y a pas un travail d'échange entre les professionnels du secteur. Après une dizaine d'années dans la formation, Lazrak constate pour sa part «que les créatifs ne sont pas suffisamment pétris dans la culture arabo-musulmane et amazighe qui est la nôtre. Pour trouver de bons concepts qui correspondent au grand public, il faut qu'ils s'en imprègnent». Et ce n'est pas Ayouch qui le contredira. «Le créatif marocain doit faire des efforts sur lui-même, s'inspirer de la richesse de son patrimoine mais aussi de la langue». Pour résumer, mettez de côté la culture, restreignez la formation, importez les compétences et rappelez-vous que vous parlez darija, vous fêterez, ainsi les quarante ans de la pub au Maroc.