Trop peu encadrée, la libéralisation du marché des céréales, principalement celle du blé tendre ! C'est la conclusion saillante qui découle de la situation de blocage qui, une fois de plus, handicape les terminaux céréaliers du port de Casablanca. Trop peu encadrée, dans la mesure où, sécurité alimentaire oblige, les importations de blé tendre bénéficient d'incitations publiques, hors saison de récoltes, sans pour autant que les conditions minimales d'enlèvement et de stockage ne soient exigées, sans qu'aucune capacité logistique minimale, ni des moyens d'entreposage suffisants ne soient prévus par les opérateurs, ni mis à disposition par les pouvoirs publics. Cela surtout que les incitations tarifaires à l'import sont définies dans le temps, poussant les importateurs à se ruer sur les marchés pour bénéficier de cette manne financière même si, tout compte fait, ils ne sont pas toujours gagnants. Comment alors ce mécanisme complexe s'auto-déclenche-t-il ? Comment le jeu du marché, où chacun vise la maximisation de son profit, entraîne-t-il une congestion de fait, des terminaux céréaliers du port de Casablanca ? Inciter à importer... Tout commence par le régulateur du secteur, l'Office national interprofessionnel des céréales et légumineuses (ONICL). Ce dernier édite, en chaque début d'année, la «Circulaire relative à la gestion des importations de blé tendre dans le cadre du système de régulation». Celle datée du 7 janvier dernier, d'ailleurs, fixe les dispositions réglementaires et les modalités de paiement des primes offertes aux importateurs, pour leurs arrivages de blé tendre «panifiable», entre le 1e janvier et le 15 avril en cours. Une durée qui a été ensuite prorogée jusqu'au 30 avril par une circulaire modificative. Egalement appelée «restitution forfaitaire à l'import», cette subvention est calculée par l'Office chaque quinzaine, et est fixée pour la première moitié d'avril à 45,38 dirhams par quintal. Soit un coup de pouce de taille, puisque représentant près de 17% du prix d'achat FOB (hors fret et autres frais), compte tenu des cours de cette période (12 avril 2011). En effet, le prix FOB à cette date s'établit à 348 dollars la tonne, pour un cours du dollar plutôt avantageux à 7,83 dirhams, soit 272,5 dirhams le quintal. De plus, pendant la période, les importations sont également exonérées de droits de douanes. Que de bonnes raisons économiques donc, pour sauter sur l'opportunité, et s'assurer un maximum de matière première au meilleur coût de l'année. C'est sans compter néanmoins que, chose normale, tous les importateurs suivent les évolutions de la réglementation et du marché, et font donc les mêmes raisonnements et par là même, prennent plus ou moins les mêmes décisions au même moment donné. ...Jusqu'à plus soif Résultat, une grosse dizaine de cargos céréaliers en rade au large du port, dans l'attente que les terminaux céréaliers se libèrent, en sachant que le transbordement d'un navire de 27.000 tonnes nécessite 2,5 à 4 jours. On comprend mieux à la lumière de ces éléments, que le ministère de l'Equipement et des transports et l'Agence nationale des ports (ANP), se désengagent de toute responsabilité, estimant «que ce n'est en aucun cas un problème d'infrastructure, puisque la ruée subite des importations de céréales dépasse les scénarios les plus pessimistes envisagés». Pour sa part, la capacité des silos de transbordement avoisine les 135.000 tonnes au port de Casablanca, «ce qui est largement suffisant, à condition que les moyens logistiques suffisants soient mobilisés par les opérateurs pour enlever leurs denrées, et libérer la chaîne pour fluidifier le flux entrant, dépendant du flux sortant», explique la DG de l'ANP. L'insuffisance des moyens logistiques et de stockage des importateurs, autant que le manque d'encadrement en période de pic prévisible sont donc des facteurs déterminants. On constate, à titre d'exemple, qu'un seul opérateur affrète 3 cargos de 27.000 tonnes au même moment, ce qui exacerbe l'engorgement au niveau des terminaux céréaliers, tout en le pénalisant par surestaries (indemnités que l'affréteur doit payer au propriétaire du navire, dans un affrètement au voyage, quand le temps de chargement et/ou déchargement dépasse(nt) le temps de planche prévu dans le contrat de voyage) qui plombent le coût de revient. Il serait par exemple salutaire, dans la mesure où les capacités de transbordement sont limitées, de limiter le nombre de navires «affrétables» par un même opérateur sur une période donnée, sans que cela ne menace la continuité de sa production. Concentration et duopole Mais la problématique est encore plus large, plus structurelle. Lorsqu'on sait que le seul port de Casablanca concentre 75 % du trafic céréalier national, avec tout l'engorgement routier de la sortie du port jusqu'à l'autoroute, on se demande à quoi servent les autres terminaux céréaliers disponibles, notamment celui de Jorf Lasfar, qui est d'ailleurs exploité par le même opérateur que celui de Casablanca : Mass Céréales Maghreb, filiale de Holmarcom. À ce sujet, il semble que l'objectif de concurrence visé par la tutelle est loin d'être atteint, puisque Mass Céréales bénéficie d'un quasi monopole de fait sur le transbordement céréalier. Il est en tout cas sûr que la concurrence est loin de jouer son rôle. Dans son «point sur l'évolution de la réforme portuaire de 2006», l'ANP justifiait qu'«afin d'introduire la concurrence dans la manutention du trafic des céréales, un deuxième opérateur (Mass Céréales Maghreb) a été autorisé pour la réalisation et l'exploitation d'un terminal spécialisé au niveau du poste 60 pour le traitement de ce trafic dans un cadre concurrentiel avec SOSIPO, qui opère au niveau des postes 20-21». Toutefois, dans les faits, de l'avis d'une majorité d'opérateurs, «c'est bien plus une entente qu'une concurrence» qui régit les relations au sein de ce duopole.