Oui, je sais qu'on dit plutôt «les carottes sont cuites», mais, au prix où sont les tomates ces derniers jours, elles méritent à plus d'un titre de prendre leur place. Les Marocains ont raison de dire de quelque chose qui est devenu cher, que «ça a pris feu». D'ailleurs, pour les cuire, il faut d'abord pouvoir les acheter. Jusqu'à 15 DH le kilo, ce ne sont plus des tomates, mais des kiwis. Oui, je sais que la tomate, à l'origine serait un fruit, mais là, on exagère. Si, ça continue à ce rythme, elle risque d'atteindre 100 DH au mois de ramadan prochain. Harira bien qui harira le dernier. C'est vrai, j'ai déjà sorti cette vanne, mais il faut dire que pour certains, je veux dire pour la majorité, ce n'est pas très rigolo. Parce qu'il n'y a pas que les tomates. Tous les légumes se sont enflammés. Pour faire un jeu de mots facile, bientôt il n'y aura plus que les grosses légumes qui pourront se payer, par exemple, une bonne soupe ... populaire. Et, bien sûr, je ne parle pas des légumes fins et chics, comme l'artichaut, les petits pois ou les haricots verts. Désormais, on ne pourra les servir que les jours de fête. Et encore, qu'une année sur deux. Quant aux endives, choux de Bruxelles et autres brocolis, je suis sûr qu'on va bientôt les vendre au gramme, comme le safran. Je suis désolé de vous paraître, peut-être, prendre les choses un peu à la légère, mais je vous assure que je suis très sérieux. Ça peut vous paraître un peu démago, mais je prends ce problème vraiment à cœur. Vous savez, c'est facile à dire, mais je vais le dire quand même, je suis un peu cœur d'artichaut. Non, vraiment, ça me fait de la peine d'entendre les gens se plaindre de la flambée – on y revient – des prix des légumes, principale source d'alimentation des masses populaires, naguère. Oui, parce qu'aujourd'hui, et encore plus pour un bon couscous aux 7 légumes. Sept ?!? Vous êtes fous ! Vous allez vous ruiner ! L'autre jour, j'ai fait le calcul, juste pour le plaisir... Pardon... Pour le fun. Enfin, vous voyez ce que je veux dire... Entre les courgettes, les navets, les carottes, les fèves, les choux, les pois chiches et l'incontournable et indispensable citrouille, juste à un kilo chacun, et sans compter ni la semoule, ni le beurre rance, ni la cuisson, je n'étais pas loin du prix d'un repas au Fouquet's. De Paris, pas celui de Marrakech, où ça reste encore abordable pour des gens comme ... vous. Parce que moi, par solidarité, je me suis mis au régime pâtes seules. Il faut dire, pour être honnête, que ce n'est pas pour des raisons économiques, mais plutôt diététiques. Je dois perdre quelques kilos superflus, mais aussi pour me préparer pour un... nouveau rôle. Je ne vous en dirai pas plus. Peut-être plus tard. Par contre, j'ai appris que la plupart des gens qui ne sont plus capables de toucher aux légumes tellement c'est brûlant, se sont mis, eux aussi, presque, en exclusivité, aux pâtes et aux féculents, quoique pour les féculents, ils y étaient déjà pour une grande partie. Par contre, la grande nouveauté - et je suis tombé des nues quand on me l'a rapporté – c'est que pas mal de familles plutôt «démunies», pour utiliser la formule consacrée, se sont rabattues sur un plat, jadis, réservé aux ménages nantis, notamment lors de leurs baptêmes, il s'agit, vous l'avez deviné, à la fameuse et délicieuse «rfissa» (et qu'un grand et défunt entraîneur de foot marocain aurait traduit un jour par «cafouillage»). Oui, vous avez bien lu : les pauvres mangent maintenant presque chaque jour de la «rfissa». Alors, chers riches, si vous ne faites rien et vite, bientôt, ils vont tous se mettre au méchoui. Je vous aurais prévenus !