Que le grand Jacques me pardonne, mais je n'ai pas trouvé mieux pour exprimer aujourd'hui mon désarroi. Si son pays à lui, manque quelque peu de relief, notre pays, lui, manque de tout ce qui peut intéresser un pauvre billettiste en manque d'inspiration comme moi. C'est simple : il ne se passe rien. Bien sûr, il y a ces terribles catastrophes qu'on attribue tantôt à la pluie, tantôt à la fatalité, bref, toujours à «l'autre», au «ciel» qu'on fait vite de prier de nous protéger au lieu de nous tomber sur la tête. Eux, ils ne sont jamais responsables de rien, sauf, bien entendu, des «bonnes choses». Et même quand ils n'y sont pour rien, comme, par exemple, une bonne moisson laquelle, soit dit en passant, et jusqu'à preuve du contraire, est le fruit d'un des nombreux bienfaits du ciel, ils se l'attribuent et fanfaronnent comme si c'était eux qui avaient fait tomber la pluie et fait pousser le blé. Alors, pour me venger un peu, j'ai décidé aujourd'hui de les rouler dans la farine, en espérant que j'arrive, comme on dit chez nous, à leur insuffler un peu de «souffle». Vous pouvez considérer que je raconte souvent n'importe quoi, et que ce que je viens de vous débiter à l'instant est exagérément démesuré, et même, si ça peut vous faire plaisir, stupidement outrancier, mais je suis sûr que ce que je vais vous présenter maintenant, va vous paraître si vrai et si évident, que vous allez vous empresser d'être d'accord avec moi. J'en suis déjà, à l'avance, très ému. En fait, quand je parlais de «plat pays», je voulais insinuer la platitude mortelle que nous vivons sur le plan politique depuis déjà plusieurs mois, voire plusieurs années. Il ne se passe rien sur ce plan, oui ou non ? Ne répondez pas tous en même temps, s'il vous plaît ! J'ai souvent entendu dire que notre classe politique a déserté la scène. Mais de quelle classe politique s'agit-il ? Il n'y a plus ni classe ni tribu, ni ethnie ni même «famille » politique... Il n'y a plus que des petits groupes d'individus qui mettent en commun leur égoïsme, leur opportunisme et leur strabisme. Oui, ils louchent tous affreusement vers un seul point : le pseudo pouvoir. Je dis bien «pseudo» et je ne pèse même pas mon mot tellement ce pouvoir est léger. Regardez-les bien : est-ce que vous pensez franchement que l'un d'eux détient un quelconque pouvoir ? Et quand je parle de «pouvoir», je veux dire la faculté, la capacité et le courage de prendre, sans avoir à se référer, constamment et obligatoirement, aux vrais détenteurs du pouvoir, les grandes décisions stratégiques qui déterminent réellement la vie et l'avenir du Maroc. Oui, dites-moi qui, aujourd'hui, dans ce beau mais si plat pays, est le détenteur du vrai pouvoir ? Les ministres ? Vous plaisantez. Les députés ? Vous rigolez ? Les partis ? Les syndicats ? Les patrons ? Vous êtes vraiment marrants, vous ! Avec tout le respect que je dois à tout ce beau monde, je l'ai dit et je l'écris aujourd'hui, ils n'ont pas plus de pouvoir que vous ou moi. Oh, évidemment, eux, ou, disons, certains d'entre eux, peuvent allègrement griller les feux rouges ou faire des excès de vitesse, leurs rejetons peuvent écraser de pauvres passants sans même s'arrêter pour leur dire adieu, leurs conjoints peuvent stationner en 5e position ou torturer leur petite bonne sans être inquiétés, mais, sincèrement, entre nous, est-ce que c'est ça «le pouvoir» ? Non, à mon avis, tout ça n'est que l'expression manifeste d'une féodalité archaïque qui ne veut pas lâcher ses avantages moyenâgeux et se muer, comme l'ont fait d'autres, en vraie alternative moderniste et modernisante. Tant pis pour elle, et, hélas, tant pis aussi pour nous ! Et attendant, je ne sais pas pourquoi, je garde quand même espoir...