Je vais vous surprendre, mais je pense sincèrement que le Maroc a changé. Je sais que tout le monde dit ça, mais moi, je ne l'ai jamais dit, sauf, peut-être, pour plaisanter. Mais, là, vous allez voir, je suis très sérieux. Tenez ! Je vais vous poser la question: aujourd'hui, quand les gens n'ont rien à dire, de quoi parlent-ils ? De la pluie et du beau temps ? Non. La pluie, elle ne tombe presque plus, et le temps n'est plus beau depuis belle lurette. Du foot ? Pas du tout. Vous savez bien que depuis quelque temps, les Marocains s'intéressent plus au salaire des entraîneurs qu'au jeu des joueurs. De l'économie ? Vous plaisantez ou quoi ? D'abord, en général, personne n'y comprend que dalle et d'ailleurs personne ne prend la peine de leur expliquer quoi que ce soit. Ensuite, depuis la nuit des temps, la plupart d'entre nous prend l'économie au sens primaire du terme : l'austérité. A force d'être obligés de toujours économiser, nous sommes tous devenus de grands économes. Moi-même, il m'arrive de plus en plus, ici ou ailleurs, et sans m'en rendre compte, de parler sans compter de taux de croissance, d'inflation, de thésaurisation, de balance commerciale, d'investissement, de dévaluation, de marché de capitaux, et bien d'autres concepts macro ou micro, et, pourtant, côté éco, je suis nul de chez nul. Au fait, je vous parlais de quoi ? C'est ça : de quoi parlent aujourd'hui nos concitoyens ? Tout d'abord, et c'est un point hyper important, ils parlent. Oui, il faut bien le dire, ça ne nous mène pas bien loin, mais, aujourd'hui, on parle beaucoup plus qu'hier, et sûrement, au train où l'on va, bien moins que demain. Si ça vous chante ou vous enchante, vous pouvez mettre ça sur le compte de la nouvelle ère, mais ce qui est sûr c'est que, parler, on ne fait que ça. Et de quoi parle-t-on ? De politique, pardi ! Voilà : c'est ça, pour moi, le changement dont je parle depuis tout à l'heure sans vraiment en parler. Soyons sérieux deux minutes. Franchement, qui n'a pas remarqué, depuis l'avènement du dernier changement, que les langues se sont déliées ? On parle politique partout et à tout moment ; que ce soit à la maison, au boulot, dans les cafés, dans les bistrots, au marché etc., tout le monde a toujours son mot à dire même si, souvent, il ne dit pas grand-chose. Qu'importe ! L'essentiel, c'est qu'il s'intéresse à cette chose qui était jusqu'à une date récente, si difficile, si sensible, et même, disons-le tout haut, si dangereuse. Désormais, on parle politique avec une telle aisance et une telle liberté qu'on dirait qu'on a fait ça toute notre vie. Mieux : on le fait comme on raconte une blague : en rigolant. Et c'est ça, la nouveauté et l'originalité de notre changement spécifique. Alors que, ailleurs, la discussion politique est souvent austère et sévère, chez nous, ici et maintenant, en parlant, par exemple, de gouvernement ou de Parlement, on rit à gorge déployée tout en se donnant des tapes sur le ventre, même le plus vide. Cela dit, il faut quand même donner une précision importante : aujourd'hui, nous avons affaire à une nouvelle race d'hommes et de femme politiques (J'ai mis volontairement la femme au singulier car on n'en a, pour l'instant, qu'une seule). Ce sont de vrais comiques. J'ai bien dit « comiques » et pas « rigolos », mais, entre nous, je n'en pense pas moins. Cela dit, quel talent ! De la grande « Comedia del arte » ! Mais, j'ai juste une crainte : on rigole bien, c'est vrai, mais jusqu'à quand ? Eh oui, maintenant que j'ai dit tout ça, je suis obligé d'ajouter également que le vrai changement, lui, ce n'est pas de la rigolade. Bon week-end les nouveaux parleurs, et bon courage les rigolos.