Les territoires sont au cœur du développement économique des pays. Les régions et les grandes métropoles sont confrontées aux mêmes défis stratégiques que les entreprises ou les Etats. À l'image des mégalopoles des nations avancées (New York, Paris, Londres, Madrid, Barcelone, Milan, Francfort, Amsterdam ou Tokyo) ou émergentes (Sao Paulo, Bombay, Shanghai, Dubaï ou Doha), la ville de Casablanca ambitionne d'occuper un positionnement privilégié dans la compétition économique et financière planétaire. Toutes ces métropoles sont emblématiques de leur espace national et représentent des moteurs de croissance pour leur pays respectif. Enfantées par les politiques de régionalisation et de décentralisation, les autorités élues à l'échelle régionale et locale incarnent la légitimité politique issue de la démocratie locale et apparaissent désormais comme des acteurs incontournables dans la compétition mondiale. Elles exercent des compétences élargies et gèrent des budgets d'investissement et de fonctionnement très importants. En dépit d'un conseil formé d'élus totalement irresponsables et empêtrés dans des querelles stériles, la ville de Casablanca est engagée irréversiblement dans cette dynamique de décentralisation. Relativement nombreux à Casablanca, les niveaux administratifs locaux sont hérités d'une politique de décentralisation somme toute assez récente (à peine trentenaire) et qui a cruellement souffert de son inadaptation aux enjeux réels de l'économie moderne. Les questions de compétitivité économique, de recherche et d'innovation, sont assurément entrées au cœur des rhétoriques politiques nationales, mais demeurent étrangères à la réalité de l'agenda politique des élus locaux. Les multiples interférences avec les délégations des administrations nationales, très présentes à Casablanca, rendent encore plus délicates la conception et la mise en œuvre de stratégies de développement régional. Les problèmes d'infrastructures, de transport, de logement, de sécurité, de santé et d'emploi à Casablanca, constituent une priorité pour les autorités politiques et occultent, par leur acuité, les questions liées à la compétitivité comparée du territoire, par rapport aux grandes villes internationales concurrentes. Dans cette quête de compétitivité, la performance fiscale de la ville de Casablanca représente une problématique centrale. Casablanca, plus que toute autre ville du royaume, est confrontée à un énorme paradoxe: le déphasage entre l'étendue de ses ambitions et la modestie de ses moyens. Preuve en est : l'hémorragie que subissent les ressources provenant de sa fiscalité locale. Métropole de la démesure par la population qu'elle accueille et les flux économiques qu'elle produit, Casablanca dispose de leviers financiers dramatiquement limités. En raison de la faiblesse de ses ressources fiscales, son excédent budgétaire annuel ne dépasse guère les 100 millions de dirhams ! Les causes sont largement connues des autorités locales et de tutelle, mais peu de choses sont faites pour stopper l'hémorragie. Pourtant, des solutions existent pour améliorer le taux de recouvrement des trois impôts affectés (taxe de services communaux, taxe d'habitation et taxe professionnelle), qui représentent les 3/4 des recettes de la ville, pour augmenter le rendement des taxes propres et des produits communaux, recouvrer les gigantesques arriérés fiscaux non assainis et mieux estimer le potentiel fiscal de la ville. La commune urbaine de Casablanca doit être davantage responsabilisée dans la fixation des taux d'imposition (arrêtés au niveau national), dans l'établissement de l'assiette (relève de la compétence de la Commission locale de recensement, qui bénéficie du support technique de la Direction générale des impôts pour établir les rôles d'imposition) et dans le recouvrement (assuré par la Trésorerie régionale). Concernant les autres taxes et revenus, on constate un recours insuffisant aux sources de données externes et aux différents modes de recoupement et de contrôle. L'évaluation de la matière imposable est effectuée le plus souvent à partir de données non produites par les services de la ville et émanant de sources sur lesquelles elle n'a aucun pouvoir de contrôle. Des viviers de recettes largement sous-exploités sont constatés en matière de redevances pour occupation temporaire du domaine public (panneaux d'affichage publicitaire, taxiphones, kiosques, terrasses de café, enseignes commerciales, enseignes des agences bancaires, parkings, stationnement,...). Il en est de même pour les produits des biens de la commune de Casablanca, dont le montant des recettes encaissées est ridiculement bas, au regard du potentiel que peut générer le recensement exhaustif et la mise en valeur du patrimoine de la ville. La presse se fait d'ailleurs régulièrement l'écho d'affaires douteuses où des clubs sportifs, des villas, des cafés-restaurants et bien d'autres actifs immobiliers appartenant à la ville de Casablanca, sont loués à des prix symboliques ne dépassant pas quelques milliers de dirhams annuellement ! Enfin, le système de taxation n'optimise pas les revenus de la ville: soit il est trop complexe et rend difficile le contrôle effectif des déclarations des contribuables (exemple : multiplicité des catégories de produits sur le marché de gros, favorisant la fraude) ; soit il est trop forfaitaire et gâche le potentiel fiscal de la commune (exemple : système de taxation unique sur l'ensemble des quartiers de la ville en matière d'occupation temporaire du domaine public), d'où la nécessité de définir un zoning de Casablanca, pour éviter d'appliquer une taxation uniforme à des situations commerciales et à des zones de chalandise très différentes. Par delà l'introduction de règles de bonne gouvernance dans la gestion de la fiscalité locale de la commune urbaine de Casablanca, la ville et la région doivent se doter d'un plan stratégique leur conférant une vision à moyen et long termes de leurs équilibres financiers. Les maîtres mots de cette vision sont restructuration et développement : restructuration des finances pour exploiter le plein potentiel fiscal de la ville et développement des finances en créant de nouvelles sources de revenus structurelles pour la commune urbaine et la région, en corrélation avec des délégations de responsabilités additionnelles que l'Etat serait susceptible de leur accorder. Mohammed Benmoussa Chef d'entreprise, Ex-directeur de banque