Dans ma tribune du 7 février dernier intitulée «Réforme de l'Etat», j'affirmais l'urgence d'une réforme politique, administrative et économique de l'Etat. J'ajoutais, aussi, pour conclure mon propos : «Aujourd'hui, le reflet d'un espoir citoyen contenu, cette trilogie pourrait rapidement se transformer en une exigence populaire assumée. Dans cette dynamique sociétale, l'anticipation politique est règle d'or». Aujourd'hui, nous y sommes déjà avec la multiplication des manifestations populaires. Quant à l'anticipation des dirigeants politiques, elle est particulièrement faible ! Que constate-t-on à l'heure actuelle ? D'abord, que le peuple fait entendre sa voix de plus en plus fort. La marche pacifique des jeunes du 20 février et du 20 mars, les manifestations du 13 mars à Casablanca et du 15 mars à Khouribga, qui ont abouti à de violents affrontements avec les forces de l'ordre et à plusieurs dizaines de blessés dont certains grièvement, témoignent d'une montée vertigineuse de l'exaspération populaire. En dépit de leur légitimité et de leur sincérité, les revendications citoyennes font l'objet d'une surenchère, qu'on soupçonne orchestrée par quelques groupements partisans aux visées politiques révolutionnaires. Ensuite, que la réponse politique à ces revendications est jugée inappropriée. Certes, le souverain a engagé le royaume dans un vaste et courageux projet de réforme constitutionnelle, dont la finalité est de moderniser les institutions politiques du pays pour le hisser au niveau des standards internationaux de démocratie. Pour cela, tous les Marocains lui en savent gré. Mais ils savent aussi que la mise en œuvre de la nouvelle architecture politique ainsi que la récolte des fruits économiques et sociaux qui en résultera, prendront du temps. Et le temps, ils n'en ont pas ! Ils sont dans l'attente de décisions concrètes, qui les aideront à surmonter les difficultés de leur quotidien. Ils réclament des mesures urgentes liées aux problématiques du chômage, du coût de la vie, de l'accès au logement, aux soins, à l'éducation ... Ils exigent que l'Etat mette fin à la corruption, au clientélisme, au détournement de fonds publics, à l'impunité, au népotisme... Aujourd'hui, la classe politique, partis et gouvernement, est totalement décrédibilisée aux yeux des citoyens. Mal élue en 2007, en raison d'une abstention record, la majorité parlementaire et le gouvernement qui en émane, brillent par leur immobilisme. Aucune déclaration forte, aucune initiative symbolique, aucune décision majeure, ne figurent à l'actif du gouvernement ou des groupes parlementaires. Aucune action structurante n'est tentée pour apporter une vraie réponse aux blessures sociales. La presse indépendante ne cesse de porter à la connaissance du public les affaires liées aux achats massifs de foncier public, aux enrichissements suspicieux, à la corruption généralisée et aux marchés publics attribués de gré à gré dans l'opacité la plus totale, sans que cela ne fasse sourciller un seul responsable politique, ni aucune autorité judiciaire ou de contrôle. Face à ce constat, un plan d'urgence articulé autour de dix mesures phares devient plus que jamais nécessaire : Expliquer aux hauts responsables interpellés par les slogans des manifestants, qu'ils se grandiraient en se retirant définitivement de la vie publique, parce que leur retrait serait au service de leur pays et de leur roi et contribuerait à calmer les esprits en donnant un signal d'apaisement à l'opinion publique ainsi qu'aux opérateurs économiques nationaux et étrangers. Procéder à un remaniement du gouvernement en désignant un Premier ministre et des ministres indépendants et crédibles choisis en dehors des partis politiques, chargés de conduire provisoirement les affaires courantes de l'Etat jusqu'aux prochaines élections législatives. Exiger des partis politiques qu'ils tiennent leur congrès avant le référendum sur la Constitution, si besoin est à travers un texte de loi qui imposerait cette condition et encourager l'émergence d'une nouvelle génération de responsables politiques.Demander au président de la Commission consultative de révision de la Constitution de multiplier les contacts avec les organisations de jeunesses et les militants de base au sein des partis politiques, le monde associatif et les représentants de la société civile, les intellectuels et les universitaires, tout en publiant régulièrement le planning des contacts et l'état d'avancement des travaux de la Commission en éditant, à cet effet, un site web dont la mise à jour doit être permanente. Modifier le calendrier électoral en rapprochant les dates des échéances : juin 2011 pour finaliser la mouture de la nouvelle Constitution, septembre 2011 pour le référendum constitutionnel et décembre 2011 pour les élections législatives. Réformer la loi sur les partis politiques en interdisant le cumul des fonctions et en limitant les mandats dans le temps, rationaliser le découpage électoral et transformer le mode de scrutin électoral des législatives en abandonnant le scrutin de liste proportionnel à un tour au profit du scrutin uninominal majoritaire à deux tours, pour favoriser la Constitution de groupes parlementaires forts composés de personnalités de premier plan et lutter contre l'émiettement de l'échiquier politique. Désigner une nouvelle équipe chargée de conduire la stratégie de retrait du groupe royal du monde des affaires et proposer une politique de réallocation utile économiquement et socialement au pays. Adopter rapidement une Loi de finances rectificative prévoyant des mesures sociales audacieuses financées par des dispositions fiscales et budgétaires de redistribution. Confier au Conseil économique et social la mission d'élaborer dans un délai de 3 à 6 mois, un projet de réforme réaliste mais équitable de la Caisse de compensation, pour épargner aux états-majors des partis politiques la responsabilité d'assumer la paternité d'une réforme qu'ils craignent tant. Donner des instructions fermes aux forces de police pour veiller à la sécurité des manifestants et leur garantir leurs droits constitutionnels à l'expression publique et pacifique de leurs revendications économiques, sociales, culturelles et politiques. Mohammed Benmoussa Chef d'entreprise, Ex-directeur de banque