Très calmement, on annonce au grand public, à l'occasion d'une rencontre média ou au détour d'une conversation en off, la décision de la SNI de se délester de ses principales participations. Lesieur, Centrale laitière, Cosumar, Marjane, Acima et même Attijariwafa bank, sont proposées à la vente. Tout est fait avec subtilité pour laisser penser qu'il s'agit d'une décision anodine de bonne gestion. En réalité, la portée de ces annonces de cession va au-delà du revirement stratégique. Il ne s'agit pas ici de procéder à des arbitrages financiers, de lancer des produits innovants, de conquérir de nouveaux marchés ou de signer des accords de partenariat inédits. Ce type de décision relèverait, en effet, de choix stratégiques «normaux» qui pourraient légitimement corriger les modalités de mise en œuvre d'une stratégie globale de groupe, sans en contester les principes fondateurs et sans en modifier la ligne directrice. Mais force est de constater que c'est à un véritable retournement de situation auquel nous assistons. Ce sont ces principes fondateurs qui sont aujourd'hui remis en cause. C'est cette ligne directrice qui est corrigée. Il s'agit en fait d'un reniement stratégique qui sonne le glas à des pratiques hégémoniques et qui constitue un aveu d'échec retentissant pour les auteurs de la stratégie originelle. De ce nouveau contexte national politico-industriel et politico-financier, qu'il faut saluer, émergent logiquement deux questions centrales. Quelles sont les raisons qui ont conduit à cette prise de décision historique ? Comment mettre en application cette décision dans le respect mutuel des intérêts du groupe royal et de l'économie du pays ? À la première question, il me semble que l'actualité internationale du monde arabe ainsi que la marche pacifique des jeunes Marocains du 20 février, ont précipité la décision, même si celle-ci était vraisemblablement arrêtée depuis un certain moment sur la base des éléments de contexte endogènes au Maroc. Au nom de la transparence, de l'équité et de la mise en concurrence La nécessité de séparer les fonctions politiques et économiques et, comme corollaire, la volonté de lutter contre les conflits d'intérêt, participent également à cette décision de retrait progressif du monde des affaires. L'ambition du royaume de se hisser au niveau des standards internationaux en matière de moralisation de la vie publique et de lutte contre la corruption, constitue aussi un facteur explicatif. Enfin, la personnalité de l'actionnaire de référence du groupe royal transcende très largement les considérations financières. Le Souverain règne sur tous les Marocains et leur garantit à tous le droit de jouir des libertés publiques et privées, au premier rang desquelles se trouve la liberté d'entreprendre. De ce fait, la neutralité royale constitue un élément fondateur du lien des citoyens avec le monarque et représente, pour les Marocains, un droit suffisamment précieux et pour le Souverain, un engagement suffisamment fort, pour justifier le retrait progressif mais irréversible de la SNI de la sphère économique. À la seconde question, il me paraît indispensable de protéger à la fois les intérêts de l'économie marocaine en sauvegardant son indépendance et en interdisant des transferts de monopole ou d'oligopole et ceux du groupe royal en organisant une stratégie de retrait respectueuse des principes de transparence, d'équité et de mise en concurrence. Dans ce contexte, ceux qui ont été chargés de faire la stratégie de croissance externe tous azimuts durant une décennie, ne peuvent aujourd'hui être investis de la mission de la défaire. Leur crédibilité serait sérieusement entachée. La bonne gouvernance commanderait de désigner une nouvelle équipe, qui serait chargée de conduire la stratégie de retrait et de proposer pour les avoirs financiers résultant des cessions, une politique d'investissement novatrice, plus en harmonie avec le statut de l'actionnaire de référence et en meilleure adéquation avec les intérêts socio-économiques du pays. Aider des groupes privés marocains de taille moyenne à croître à l'international, en jouant un rôle de sleeping partners, abonder des fonds d'investissement, d'industrialisation ou de développement régional sans aucune implication dans le management, créer des fondations destinées à financer l'innovation et la recherche-développement, favoriser la création de micro – entreprises, de TPE et de PME par un accompagnement capitalistique minoritaire, soutenir les actions de l'INDH ...sont des axes susceptibles de figurer parmi les composantes de la nouvelle politique de réallocation des ressources financières de la holding royale. La cession des participations de la holding ne suffira pas, toutefois, à redessiner la cartographie du paysage économique marocain. Il faudra également détricoter la sphère d'influence qui fût patiemment construite à travers les nominations aux hautes fonctions de l'Etat et désigner une nouvelle génération de managers indépendants, choisis sur le seul critère de leurs compétences et animés par le service de l'intérêt général. Le Souverain a donné aux Marocains un signal fort en décidant de se retirer de la compétition économique. Il nous appartient de saluer avec gratitude cette initiative historique, d'en saisir le contenu et d'exiger des décideurs politico-économiques l'application pleine et entière de la décision royale. Mohammed Benmoussa Chef d'entreprise, Ex-directeur de banque