Même si l'on suppose qu'il existe vraiment une décision de boycott de la part de ce groupe, on ne peut lui en vouloir puisque toute entreprise privée est souveraine… Le magazine Nichane arrête de paraître. Son directeur de publication, Ahmed Réda Benchemsi, qui a annoncé cette décision dans un communiqué rendu public vendredi dernier, la justifie par un «boycott publicitaire persistant initié par le holding royal ONA/SNI (…), étendu à de multiples grands annonceurs étatiques, paraétatiques et proches du pouvoir». Donc, toute la sphère des affaires au Maroc aurait boycotté Nichane pour pousser à sa fermeture. Pourquoi ? Pour faire taire ce magazine «à cause de son indépendance et de ses positions éditoriales souvent critiques à l'égard du pouvoir marocain», explique M. Benchemsi. Un argument qui ressemble à celui mis en avant par les éditeurs du magazine Le Journal Hebdo lorsqu'ils ont décidé de fermer leur publication et de mettre à la porte une quinzaine de collaborateurs sans les indemniser. L'utilisation des mêmes arguments pour fermer Nichane révèle que les deux opérations ont le même objectif. La tactique est usée : on fait un point de presse, on invoque un adversaire externe, on se lamente sur le sort des journalistes et on en attribue la responsabilité du licenciement abusif, collectif, à un tiers. Même modus operandi, même bouc émissaire : le holding royal ONA. A ce sujet, il y a deux contradictions qu'il faut relever. La première est que, même si l'on suppose qu'il existe vraiment une décision de boycott de la part de ce groupe, on ne peut la condamner puisque toute entreprise privée est souveraine dans la gestion de ses budgets publicitaires et de leurs retombées sur son image institutionnelle. Au droit à la libre expression, on opposera le droit à disposer librement de ses budgets notamment publicitaires. Il n' y a pas encore en l'état de la législation marocaine de droit à la publicité que l'on peut opposer à un annonceur. La deuxième contradiction est que ce boycott n'aurait jamais pu pousser à la fermeture d'un journal étant donné que le groupe lui-même ne représente qu'une part très limitée du marché de la publicité pour la presse écrite au Maroc. Aujourd'hui, il existe plusieurs groupements d'intérêts au Maroc qui font concurrence à l'ONA/SNI et leur compétition économique, légitime et bénéfique pour l'économie nationale a même aidé à développer le pluralisme éditorial dans les médias. En plus, comment peut-on prétendre à un boycott publicitaire liberticide dans le cas de Nichane et afficher une excellente santé financière à TelQuel au point de le présenter comme une occasion en or à des acheteurs potentiels ? Même éditeur, même ligne éditoriale, et deux traitements différents de la part des annonceurs. C'est le summum de la contradiction. Si Nichane ferme aujourd'hui, c'est pour des raisons autres que celles invoquées par ses éditeurs. Elles relèvent certainement de certaines tractations mercantiles qui ont lieu dans les coulisses entre ses actionnaires qui veulent, chacun de son côté, tirer un maximum de bénéfice à l'occasion d'une cession éventuelle du groupe de presse. La mésentente stratégique entre les actionnaires et la contradiction entre leurs intérêts peuvent aboutir à terme à un sabordage pur et simple du groupe. Les arguments utilisés pour la fermeture de Nichane portent, en fait, préjudice directement à l'avenir de TelQuel.