Deux journalistes marocains sont actuellement jugés pour avoir publié un article que les autorités marocaines ont estimé offensant pour l'Islam. Les groupes nationaux et internationaux qualifient ce procès et la décision d'interdire cette publication de violation à la liberté de la presse. Le procès de deux journalistes marocains, accusés d'avoir offensé l'Islam, a déclenché une vague d'inquiétudes dans le monde entier quant aux limites de la liberté de la presse au Maroc. Le 20 décembre, les autorités marocaines ont accusé le rédacteur en chef du magazine Nichane Driss Ksikes et la journaliste Sanaa Al-Aji "d'atteinte à la religion islamique" et "de publication et d'édition d'articles contraires à la morale" aux termes de la Loi sur les Publications de Presse de 2002. La publication a été interdite. Lors de la première séance du procès des deux journalistes, qui a eu lieu le 8 janvier à Casablanca, le procureur du roi a requis une peine de trois à cinq ans de prison, ainsi que l'interdiction d'exercer et une amende. La Fédération Marocaine des Editeurs de Journaux (FMEJ) a publié une déclaration critiquant "les mesures administratives prises à l'encontre de cet hebdomadaire". La fédération a également appelé au respect de son code d'éthique. "La FMEJ … prend acte des excuses présentées par la publication et réitère son attachement aux valeurs déontologiques prônées par la charte d'éthique." Dans un communiqué lu à la télévision publique, les journalistes ont déclaré qu'ils n'avaient "pas cherché à offenser nos lecteurs musulmans … Nous nous excusons, en particulier parce que nous entretenons une relation de grand respect envers nos lecteurs". Le propriétaire de Nichane, Ahmed Reda Benchemsi, a indiqué au Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) basé à New York que les journalistes du magazine avaient reçu des menaces de mort par téléphone et e-mail depuis que le gouvernement avait fait connaître les chefs accusations. L'article en question, publié le 15 décembre, dressait un tableau des blagues sur la religion et la politique, intitulé "Blagues: Comment les Marocains Rient de la Religion, du Sexe et de la Politique". M. Benchemsi a indiqué que certaines de ces blagues parlaient de Dieu, des anges et des prophètes comme des personnes, mais ne se moquaient pas d'eux. "Nous avons fait preuve de sagesse en rappelant que nous n'avons fait que refléter ce qui existe dans la société, que ces blagues ne sont pas de notre création, qu'il se peut que certains lecteurs ayant une appréciation différente de la nôtre se soient sentis offensés et que si c'était le cas, on s'en excuse auprès d'eux", a déclaré Ksikes lors des auditions. "Je n'ai fait que rapporter aux lecteurs un phénomène que connaît le Maroc au niveau du rire et de l'anecdote. Nous n'avons pas porté de jugement sur la religion, la politique ou la monarchie" a déclaré Al Aji. "Nous sommes consternés par ce réquisitoire insensé. Nous ne voulons pas envisager que le tribunal reprenne à son compte les positions archaïques et ultra répressives du procureur. La justice marocaine avait déjà pris une décision moyen-âgeuse en interdisant au journaliste Ali Lamrabet d'écrire pendant dix ans. Nous n'osons pas imaginer que ce scénario puisse se répéter avec Nichane", a déclaré l'organisation Reporters Sans frontières, basée à Paris. L'Institut International de la Presse de Vienne a qualifié les mesures prises à l'encontre de Nichane et des journalistes de "grave atteinte à la liberté de la presse" et a fait remarquer que la liberté d'expression est protégée par l'Article 9 de la constitution marocaine. "Au plan de la jurisprudence internationale, la liberté d'expression est applicable non seulement à l'information ou aux idées favorablement perçues ou considérées comme non offensantes ou comme un sujet d'indifférence, mais aussi à celles qui offensent, choquent ou perturbent l'Etat ou une couche quelconque de la population." S'ils sont reconnus coupables, les deux journalistes pourraient être condamnés à des amendes pouvant atteindre 100 000 dirhams et à des peines de prison pouvant aller de 3 à 5 ans. Le verdict est attendu la semaine prochaine.