* Les affaires dAl Watan Al An et de Nichane viennent perturber une démarche de concertation enclenchée depuis plus de deux ans entre le secteur de la presse écrite et le gouvernement. * Outre le Code de la presse qui reste en suspens, le recours au Code pénal pour condamner un journaliste à une peine de prison ferme vient jeter une ombre de doute sur lexercice de la profession. Un été sulfureux pour la presse marocaine, moins dun mois après laffaire dAl Watan Al An, laffaire de TelQuel et Nichane surgit avec des motifs plus flous encore que la précédente affaire. La première affaire a surpris sinon choqué les professionnels de la presse écrite de voir un journaliste condamné sur la base du Code pénal, surtout que les professionnels avaient plaidé pour que les journalistes soient jugés sur la base du Code de la presse qui régit la profession. On pouvait croire que depuis la libération dAli Lemrabet, plus aucun journaliste ne sera privé de sa liberté pour des motifs liés à lexercice de la profession. Moins de quatre ans après Ali Lemrabet, cest au tour du journaliste Mustapha Hormat Allah de tester la vie en geôle pendant huit mois. Un précédent grave selon beaucoup de professionnels. Pour Abdelmounaïm Dilami, PDG du groupe de presse Ecomédias, ces procès sont la résultante dune mauvaise gestion des libertés publiques y compris la liberté de la presse. Il tempère néanmoins : «Si lon analyse lexercice de la profession de manière globale, nous ne sommes pas moins bien lotis quailleurs, même dans les pays développés où les procès ont et auront lieu contre des journaux, mais on constate une mauvaise gestion. Ce chapitre qui naurait pas dû se produire est le fruit dune réaction dhumeur très violente et détériore limage du Maroc à linternational», poursuit Dilami. La presse lâchée en proie par le gouvernement Depuis les Assises de la presse tenues à Skhirat, il y a de cela deux ans et demi, la presse écrite était inscrite dans une démarche de concertation avec les autorités publiques et de tutelle. Alors lépisode de lété laisse perplexes les professionnels, notamment les patrons de presse, non pas parce quil y a eu des procès, mais le déroulement de ces procès pose problème, notamment larrestation dun journaliste comme un piètre criminel et son maintien en détention qui a été largement décrié par la Fédération des éditeurs de journaux, par le Syndicat national de la presse marocaine et par dautres associations. Son jugement sur la base du Code pénal est un autre sujet dinquiétude. Pour le cas de Nichane, le motif de la saisie qui est le manquement au respect dû à la personne du Roi sur la base de larticle 41 du Code de la presse semble très flou. Dailleurs tout récemment, lors des concertations sur le feu nouveau Code de la presse, les professionnels avaient émis le souhait de préciser davantage cet article pour couper court à toute mauvaise interprétation. Un souhait qui est tombé dans les oreilles dun sourd, puisquil nen fut rien. «Nous avons proposé au lieu du manquement au respect dû à la personne du Roi, la notion de diffamation pour bien cadrer cet article. Car lactuelle formule est très vague. Sur un autre registre, la modification apportée en 2002 au Code de la presse stipule que linterdiction de parution devait se faire sur décision judiciaire et non administrative. Seul le ministre de lIntérieur garde cette dernière prérogative, tandis que le Premier ministre ne peut ordonner une interdiction que lorsquil y a atteinte aux murs. Alors le non respect des dispositions actuelles est une chose dangereuse parce quil compromet les garanties dexercer la profession», explique Noureddine Miftah, Directeur de publication dAl Ayam. «Nous avons atteint un certain degré de maturité et nous sommes dans une phase de transition, il aurait été préférable de faire preuve de largesse desprit pour contenir pareille affaire et laisser à la presse une marge derreur, si erreur il y a, bien sûr», poursuit-il. Il ajoute que se pose sérieusement le problème de lindépendance de la justice marocaine, doù une proposition de créer des chambres spécialisées pour statuer sur les affaires en lien avec la profession. Le cafouillis de cet été porte un coup dur à tout un processus de concertation entre le secteur et le gouvernement, surtout que les professionnels ont eu un avant-goût avec la mise en veille du nouveau Code de la presse. Le Code de la presse en mode veille Lactuel Code adopté en mai 2002 a été une déception pour les défenseurs des libertés. Depuis, professionnels et gouvernement sétaient attelés à lélaboration dune nouvelle mouture avec une réduction des peines privatives de liberté mais aussi un cadre juridique qui accompagne la restructuration de tout le secteur. Mais voilà, après une entente entre les professionnels et le ministre de tutelle sur la dernière mouture avant son vote par le Parlement, le projet de Code, passé au peigne fin dans les autres sphères, a été chamboulé de fond en comble, laissant un goût damertume chez les journalistes. Pour sa part, Noureddine Miftah a été outré en entendant la déclaration du ministre de la Communication cet été qui avait expliqué que le non aboutissement du nouveau Code de la presse est dû au fait que lautre partie, cest-à-dire les professionnels, est extrémiste. Lanalyse de Noureddine Miftah est dans ce sens sans équivoque : «Nous avons fait un travail de concertation monstre pour arriver à un terrain dentente avec le ministère de la Communication. Cest ce qui fut pour quon soit surpris par de nouvelles modifications. Ce qui revient à dire que la détermination du cadre juridique de lexercice de la profession est une affaire sensible qui ne relève ni du ministère de tutelle, ni du gouvernement !». Du côté dAbdelmounaïm Dilami, tout est à refaire. «Nous avons largement légiféré la-dessus pour aboutir à un maximum, même sil nétait pas satisfaisant, mais là, les compteurs repartent à zéro», explique-t-il. La réforme du Code de la presse a été relancée depuis le début de la mise à niveau de la presse et tous saccordent à dire que sans cadre réglementaire bien précis qui permette à la profession de se réguler elle-même, il y aura toujours des lacunes et des interprétations qui profiteraient et aux détracteurs de la presse marocaine et aux intrus sur le secteur.