On ne le répétera jamais assez : nous sommes en train de vivre, tous, ici comme partout ailleurs, un grand moment de l'histoire. Les historiens comme les sociologues et les psycho-sociologues, voire, pour certains volets, les anthropologues et les ethnologues, vont se régaler. Ils ont de quoi faire pour de longues années. Quant à moi, qui ne suis rien de tout cela, je me donne un mal fou à essayer de piger un tant soit peu ce qui nous arrive, ou plutôt, pour être plus honnête, ce qui arrive aux autres, parce que, nous, pour l'instant, nous en sommes encore au stade du balbutiement, et encore, le mot est trop fort. En disant cela, je ne porte pas de jugement de valeur sur ce qui n'est pas encore arrivé chez nous, mais, vous l'avez sûrement deviné, j'ai ma petite idée là-dessus, idée que je vous développerai plus tard, puisqu'en tout cas, nous, nous avons tout notre temps. Cela dit, j'aimerais bien, si vous me le permettez, vous dire une ou deux pensées sur ce que nous avons vécu ces derniers jours. D'abord, je ne vous apprendrais rien si je vous disais que ce vent de l'Est qui a secoué ce côté sud de la Méditerranée a eu sur nous, le moins qu'on puisse dire, un effet de tempête. En un mot, comme en 37.000, «on» a eu peur que ça nous tombe sur la tête. Alors, nos hauts-parleurs et nos toutous aboyeurs ont sorti leurs parapluies qui ne les quittent d'ailleurs jamais et ont commencé à réciter, en nous demandant de la répéter après eux, la même continuelle et éternelle chanson : «Le Maroc est fort comme un roc, il résiste à tous les chocs, il ne ressemble à nul pays aucun, car les Marocains, eux, ne font qu'un». Vous savez, moi, je veux bien tout ce qu'on veut, je veux bien, par exemple, qu'on nous rappelle, de temps à autre, que nous sommes des gens «exceptionnels», «spécifiques», «authentiques», mais, de grâce, que ce ne soit pas automatique ! Je ne suis pas un spécialiste de la chose, mais j'ai l'impression qu'à force de répéter toujours les mêmes choses, surtout quand ce sont des bêtises, le peuple finit, inéluctablement, par ne plus les entendre. Pire : à ne plus les croire. Et ça, pour les gouvernants, c'est le début de la... révolte. J'y arrive ! Je vais essayer de synthétiser ce que nous avons tous vécu, y compris les aveugles et les autistes, comme moments historiques. Rassurez-vous, je ne vais pas aborder ce qui s'est passé -et se passe toujours- chez nos amis arabes, qui sont en train de prouver au monde entier qu'ils ne sont plus si Arabes que ça, et qu'en définitive, ils n'ont plus d'arabe que la langue, et encore, elle n'est pas la même partout. Je laisse tout cela aux experts et aux analystes. Moi, je vais me contenter, pour la petite histoire, de relever quelques inepties et autres absurdités depuis ce fameux dimanche 20 février, jour hystérique, s'il en est. Rappelez-vous, il a fallu que quelques jeunes férus de nouvelles technologies lancent cette date comme une boutade, histoire d'essayer de faire bouger un peu la Toile et de dessiner un nouveau tableau un peu plus beau, et voilà que les voix se sont élevées de partout et surtout de là où ça se passe, pour les sermonner et les gronder, en tentant tant bien que mal, et plus mal que bien, de les convaincre que sortir, ici et maintenant dans la rue, est une idée bien incongrue. Rien n'y a fait, les jeunes sont bel et bien sortis, suivis par certains suiveurs, mais aussi, hélas par certains casseurs qui auraient pu servir à certains d'alibis pour, justement, casser le mouvement, mais qui, en fin de compte -quel super paradoxe !- ont fini par rendre nos jeunes révolutionnaires tout beaux et tout gentils aux yeux de nos politiques confus, tous bords confondus. Non seulement, nos trouillards d'hier ont applaudi et loué «la responsabilité et le sérieux» de nos jeunes marcheurs hurleurs du dimanche, mais ils n'ont pas hésité, dès lundi, à épouser toutes leurs thèses, y compris, celles qu'ils considéraient, encore deux jours auparavant, comme de stupides foutaises. Ah les hypocrites ! Et j'ai laissé le meilleur pour la fin : certains d'entre eux, malgré leur âge souvent passablement avancé, sont mêmes allés jusqu'à se proclamer eux-mêmes «authentiques révolutionnaires». Après la prise de la Bastille, on appelait les types comme ça : «les révolutionnaires du lendemain». Comme quoi, mes vieux, même pour ça, vous n'avez rien inventé. Quant à moi, je n'ai plus qu'à vous dire bon week-end, vivement le changement et vivement vendredi prochain.