Le débat sur le smig fait toujours l'actualité. Alors que l'augmentation de ce dernier avait fait l'objet d'âpres discussions entre le patronat et les centrales syndicales, les propositions de ces dernières de porter le smig à 3.000 voire à 5.000 DH étant jugées irréalistes par les patrons, des voix se sont élevées pour demander l'instauration d'un smig qui tienne compte à la fois du pouvoir d'achat et du secteur d'activité. Une proposition qui ne date pas d'hier, mais qui a été remise au goût du jour, principalement en raison des dissensions sociales qui se font ressentir. En effet, s'il y a un point sur lequel s'accordent patrons et syndicalistes, c'est bien le fait qu'un smig à 2.000 DH ne garantit pas à l'employé un niveau de vie décent dans les grandes agglomérations. En conséquence, c'est tout le tissu social marocain qui risque de s'effondrer. Seulement, les opinions divergent au sujet de la réforme du salaire minimum garanti. Du côté des patrons, la balance penche plutôt pour l'instauration d'un smig sectoriel, qui prenne en considération les particularités de chaque secteur économique et autour duquel il y aurait un consensus, découlant notamment de négociations directes entre patrons et syndicats. Le smig sectoriel serait-il «injuste»? Le hic est que le principe même du smig sectoriel est rejeté par les syndicats, certains le qualifiant de rétrograde. Le principal argument avancé par ces derniers est qu'il est injuste que deux employés résidant dans la même ville et travaillant dans des secteurs différents, avec deux niveaux de salaires donc, disposent de pouvoir d'achat différent, alors qu'ils sont soumis au même coût de la vie. Une discrimination qui risque de raviver les tensions sociales. C'est notamment ce qui a motivé une déclaration récente de l'UMT, adressée au ministre de l'Emploi, Jamal Rhmani, lors du dernier round du dialogue social. «Nous avons dit non au démantèlement du smig, et des salaires de manière générale. Il nous faut des propositions plus courageuses», martèle Miloudi Moukharrik de l'UMT. Il semble aussi que l'adoption du smig sectoriel ne fasse pas l'unanimité au sein même du patronat, bien que Mohamed Horani soit plutôt séduit par cette piste, comme il l'a déclaré lors du bilan 2009 de la CGEM. «Le Maroc doit adopter un smig national, tous secteurs et toutes régions confondus», tranche Bouchaïb Benhamida, président de la Fédération nationale du BTP (FNBTP). Toutefois, entre les uns et les autres, un courant se dégage en faveur d'un smig régional. La difficile équation de la compétitivité Sur le papier, le principe se défend, la cherté de la vie dépendant plus de la localisation géographique que du secteur d'activité. Certes, de prime abord, cette mesure peut sembler «injuste», mais l'idée n'est pas dénuée d'intérêt une fois replacée dans son contexte. Ainsi, le principal avantage qui se dégage à l'évocation du smig régional est le regain de compétitivité. En effet, certaines industries dégagent des marges qui frolent les 5%, à l'image de l'agroalimentaire, une majoration du smig de 2,5% sur quatre ans aurait, de l'aveu des patrons, un impact certain sur les coûts de production, et par conséquent sur le prix de revient. Or, les industriels se retrouvent dans une impasse, car ils ne peuvent répercuter cette augmentation sur les prix de vente, compétitivité internationale oblige. Et c'est justement là où le bât blesse. La main-d'œuvre payée au smig est constituée, dans sa majorité, d'employés non qualifiés. Cependant, la main-d'œuvre non qualifiée marocaine demeure trop chère comparée avec ce qui se pratique dans d'autres pays. Ceci dans un environnement mondial hautement compétitif, où les entreprises sont parfois contraintes de rogner sur leurs marges pour rivaliser avec des économies où la main- d'oeuvre est à faible coût. «La rémunération horaire de la main-d'œuvre non qualifiée est beaucoup trop chère au Maroc», lance l'un des opérateurs du secteur textile. «Nous avons vu des entreprises délocaliser au Sri Lanka dans le simple but d'économiser l'équivalent de 40 euros par ouvrier et par mois», ajoute-t-il. Car si les chefs d'entreprises reconnaissent volontiers qu'il est difficile pour un smigard de «survivre» dans la conjoncture actuelle, ils reconnaissent pourtant l'intérêt du smig régional pour le marché de l'emploi. Attention au risque de paupérisation ! À l'instar du smig sectoriel, le smig régional a également ses opposants. Parmi les arguments avancés, la crainte de voir la main-d'œuvre se déplacer vers les grandes villes pour bénéficier d'un smig plus élevé. «Au contraire, le concept du smig régional ne peut que participer au développement économique des régions. N'oublions pas que les smigards sont avant tout des ouvriers non qualifiés», tient à préciser cet opérateur. Un argument refuté par Miloudi Moukharrik: «Adopter un smig sectoriel ou régional est une vieille idée du patronat qui veut surexploiter les salariés. Comment peut-on décemment parler de baisse du smig à notre époque ? ». Et c'est là que réside toute la complexité du dossier, entre les patrons qui défendent leur rentabilité et les syndicalistes qui brandissent la menace de tensions sociales, le smigard ne peut qu'espérer un geste fort. Une équation à paramètres multiples qui nécessitera pour sa résolution, un consensus général. Parmi les multiples pistes proposées pour améliorer la compétitivité des entreprises marocaines, la moins populaire consiste en une dévaluation du dirham. Le principal argument avancé par les partisans de cette mesure est le déséquilibre qui menace à la fois la balance commerciale et la balance des paiements. Si la dévaluation est appliquée, le regain de compétitivité qui s'ensuivra permettra de rééquilibrer la balance commerciale et donc, par corollaire, de réapprécier graduellement le dirham. Attention toutefois aux effets pervers de cette mesure. Si elle est bénéfique pour la compétitivité de nos entreprises, le risque n'en demeure pas moins d'ébranler la confiance des investisseurs étrangers, ainsi que celle des détenteurs de participations dans les entreprises marocaines puisque, indirectement, la dévaluation du dirham fera baisser dans les mêmes proportions la valeur de leurs investissements. L'exutoire du smig horaire Certaines entreprises, du textile notamment, ont depuis longtemps adopté une application horaire du Smig pour la rémunération de leurs employés. Ces usines et autres unités de confection réparties un peu partout à travers le royaume font travailler leurs salariés suivant un système de tournante. Leur astuce est d'autant plus simple : faire travailler le moins possible leurs employés, de sorte que ces derniers, à la fin du mois, se retrouvent avec un pécule qui atteint parfois à peine le Smig. En cause : le manque de qualification et surtout de représentation face aux dirigeants de l'entreprise. Si un vrai dialogue social était établi, cette tranche professionnelle devrait sans nul doute y apporter sa contribution. Son défaut d'organisation a fait en sorte qu'elle soit éloignée des tables de négociation et ne fasse que subir des décisions venant du sommet hiérarchique. Du côté du patronat, c'est justement cet «élargissement du débat» qu'il faut tenter de trouver, selon Jamal Belahrach, président de la Commission emploi et relations sociales. Pendant ce temps, l'impasse demeure complète sur la question du Smig. Le SMIG, une portée socio-économique Le débat autour de la formule de Smig à adopter demeure encore ouvert. Pour la CGEM, le Smig sectoriel est la meilleure façon d'assurer une certaine cohérence entre les différents secteurs d'activités. Interrogés sur ce point, Jamal Belahrach, ajoute que le but du Smig sectoriel est d'apporter une certaine «équité» entre les travailleurs de ces secteurs, peu importe la région dans laquelle ils résident. Ce dernier insiste également sur le fait que le terme de Smig est très «limitatif», le préférant à «revenu de référence». Il intègre dans cette dernière expression tous les aspects sociaux (couverture médicale, accès au logement...), contrairement au terme Smig qui ne fait référence qu'à l'aspect pécuniaire, souvent brandi par les syndicats. «Ce qu'il faut aussi prendre en compte, ce sont les aspects aussi bien économique que social entourant cette question», déclare Belharach. Mais un débat peut souvent en cacher un autre. Dans le cas présent, il s'agit de celui portant sur l'établissement d'un modèle social, qui servira aussi de critère de détermination du «salaire de référence». Déséquilibre ? Instaurer un SMIG régional contribuerait à créer un réel déséquilibre de portée à la fois sociale et économique. Pour rappel, cette proposition, soulevée par une minorité de fédérations et d'associations professionnelles, préconise de déterminer le Smig en fonction du CDV (Coût de la vie) de chaque région. Face à cette position, le président de la Commission emploi de la CGEM est intransigeant. «Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que les travailleurs dans ces régions ont aussi des droits sociaux. Ils veulent un salaire décent, ils veulent vivre dignement», martèle-t-il. Quoi qu'il en soit, le patronat devra faire montre d'une grande force de persuasion pour fédérer tous les acteurs socioéconomiques du monde marocain de l'emploi autour de sa proposition. La CGEM, quant à elle, affiche d'ores et déjà toute sa disponibilité au dialogue : «il n y pas de sujets tabous au sein de la CGEM. Il faut que les économistes et les partenaires sociaux rejoignent la table des négociations, en même temps que les décideurs», conclut Belharach.