Il ne fait aucun doute que le président français, Nicolas Sarkozy, réserve une grosse surprise pour les étrangers non communautaires. Insatisfait des dérapages racistes de certains de ses ministres et de l'ambiance d'islamophobie qui accompagne le débat actuel sur l'identité nationale, il a choisi à plusieurs reprises, ces derniers temps, de se référer à François Mitterrand qui avait promis, sans le faire, le droit de vote aux étrangers aux élections locales. « À titre personnel, je considère qu'il ne serait pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paie des impôts et réside depuis au moins dix ans en France, puisse voter aux élections locales». Avec cette nouvelle déclaration, Sarkozy a trouvé le moyen de faire la Une des journaux qui se sont interrogés sur ses vraies intentions. S'agit-il de faire oublier les dérives fangeuses de son débat sur l'identité nationale? Ira-t-il jusqu'à imposer à son parti, l'UMP, une réforme dont il disait en 2008 ne pas avoir la majorité pour la faire passer ? L'opposition de gauche sera-t-elle enthousiaste à voter cette réforme ? Et surtout, cette proposition intégrée dans le débat sur l'identité nationale ne risque-t-elle pas d'attiser la polémique en focalisant, plus encore, les discussions, non pas sur la France, mais sur les étrangers ? Pour nombre d'analystes, cette proposition, même limitée, n'a aucune chance d'aboutir dans un futur proche. Non qu'elle soit inconstitutionnelle : depuis le traité de Maastricht, ce droit a été ouvert aux citoyens de l'Union européenne. Mais il faudrait réunir une majorité des deux tiers pour adopter une telle réforme constitutionnelle. Ils jugent aussi peu probable que la gauche soutienne un tel projet, qui exige une large adhésion et ne peut se concrétiser qu'après un débat national. Une manœuvre purement électorale En effet, quand on va vraiment au fond de la déclaration de Sarkozy, on s'aperçoit qu'il s'agit beaucoup plus d'une manœuvre électorale (les régionales de mars 2010 et les présidentielles de 2012) que d'une réelle volonté d'assurer une intégration politique effective des étrangers. La stratégie électorale de l'actuel président est basée sur des données sociales et sociologiques (et par conséquent politiques) qui le poussent à tirer profit de la réussite du processus d'intégration en France et à prôner le droit de vote aux étrangers qui ne peut que profiter dans le temps à sa stratégie électorale. Les populations d'origine musulmane, sont globalement les plus laïcisées et les plus intégrées d'Europe, grâce à un taux élevé de mariages mixtes. Et tous les sondages d'opinion le montrent : les thématiques de l'immigration, de l'islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques. L'initiative de Sarkozy ne peut s'inscrire donc que dans un contexte purement électoral, sachant qu'élection après élection, et malgré de nombreuses promesses, la France n'a réalisé que d'infimes progrès en matière d'ouverture des partis aux candidats issus de l'immigration maghrébine. La révision constitutionnelle de mars 2003, relative au référendum local, avait pu laisser croire à certains qu'il y avait là une voie vers une ouverture des procédures de la démocratie locale aux étrangers. Il n'en est rien. Entre les discours tenus et les actes, les partis politiques font preuve d'un mépris caractérisé envers cette immigration quand il s'agit de répartir les postes. Il est des paradoxes dont il est difficile de se défaire. La faible place qu'occupe aujourd'hui l'immigration dans les attributions juridiques des communes fait partie de ceux-là. D'un côté, il y a le constat que les immigrés vivent très majoritairement dans les villes, dont ils contribuent à transformer le paysage et à modeler l'environnement, qui les accueille souvent de manière hostile. De l'autre, il y a l'incapacité des villes à répondre adéquatement aux attentes suscitées par l'amplification des phénomènes migratoires, en particulier au sein des grandes agglomérations. Il est à retenir, dans ce contexte, que seule une poignée de candidats d'origine africaine ou asiatique ont été en mesure de conquérir un fauteuil de maire en France, pourtant premier pays d'immigration en Europe. Le Conseil de la diversité censé veiller sur l'application de la diversité dans les dernières élections municipales, a estimé à 0,03% le nombre de candidats originaires d'Afrique noire, du Maghreb ou d'Asie placés en tête de liste dans les 36.000 communes de France métropolitaine où ont été élus quelque 520.000 conseillers. Et quand ils sont tête de liste, c'est souvent dans des luttes perdues d'avance. Peut-on lire dans ces données que l'habileté du sarkozysme est de fonctionner sur deux pôles : d'un côté la haine et le ressentiment, de l'autre la mise en scène d'actes en faveur des immigrés par le biais de la «diversité positive». La réalité, c'est que dans tous les cas, la thématique ethnique est utilisée pour faire oublier les autres thématiques. Si vous êtes au pouvoir et que vous n'arrivez à rien sur le plan économique, la recherche d'autres thèmes à tout prix devient comme une seconde nature. Comme un réflexe conditionné. Le droit de vote des étrangers en chiffres Printemps 1981: parmi les 110 propositions du programme de François Mitterrand pour l'élection présidentielle, la 80e s'engage à accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales «après cinq ans de présence sur le territoire français». Novembre 1984: Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur s'exprime en faveur du droit de vote des immigrés aux élections locales, «facteur d'intégration». Février 1989: le Parlement européen adopte une résolution demandant aux pays de la CEE d'accorder le droit de vote aux élections locales à tous les étrangers vivant et travaillant chez eux. Octobre 1989: le Premier ministre, Michel Rocard, déclare qu'il est favorable au droit de vote des immigrés aux élections locales, mais que cela suppose une réforme de la Constitution et que le gouvernement serait censuré sur un tel projet. Mars 1994: loi autorisant le vote des citoyens de l'Union européenne résidant en France aux élections européennes. Décembre 1999: le groupe socialiste à l'Assemblée nationale dépose une proposition de loi constitutionnelle visant à permettre aux étrangers de voter aux municipales. Janvier 2000: Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la solidarité, se prononce pour le droit de vote des étrangers aux municipales. Avril 2000: l'Assemblée nationale adopte en première lecture une proposition de loi des Verts sur le droit de vote et à l'éligibilité des résidents étrangers aux élections municipales. Janvier 2001: dans son livre «Libre», Nicolas Sarkozy «avoue ne pas être outrageusement choqué par la perspective de voir des étrangers, y compris non communautaires, voter pour les scrutins cantonaux et municipaux (...) à compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois». Printemps 2002: sous la pression du Parti socialiste, Lionel Jospin, candidat à l'élection présidentielle, propose dans son programme de donner «le droit de vote aux élections locales aux étrangers régulièrement installés sur le sol français depuis cinq ans». Octobre 2005 : Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, dit vouloir «renforcer les droits des immigrés en situation légale». Mars 2007 : Ségolène Royal, candidate à l'élection présidentielle, s'engage, si elle est élue, à ce que le droit de vote des étrangers aux élections locales s'applique dès 2008. Janvier 2010 : Dans son livre «Pour la nation», Eric Besson, ministre de l'Immigration et de l'identité nationale, relance l'idée d'introduire le droit de vote des immigrés aux élections municipales.