La répression de la révolte libyenne, autrement plus sanglante que celle du jasmin ou du soulèvement de la Place Tahrir, dévoile la réalité d'un régime totalitaire, dirigé par un chef militaire illuminé s'appuyant sur une garde prétorienne et un organisme politique, les comités révolutionnaires, sorte de milice politique inspirée du modèle soviétique qui dirige et surveille les comités populaires. Les sacrifices humains consentis par les héritiers de Omar Al Mokhtar et la bravoure dont ils font preuve suscitent une émotion généralisée et forcent le respect de tous. Mais à ce sentiment de solidarité doivent se substituer une attitude de fermeté et une volonté d'action. L'émotion doit céder le pas à la raison. Désormais, une seule question compte vraiment : que pouvons-nous faire, que devons-nous faire pour arrêter ce fou furieux et sauver des vies humaines ? La réponse à cette question se trouve, bien entendu, entre les mains des politiques, mais il appartient aussi à la société civile, aux intellectuels et au monde associatif, de les contraindre par la pression médiatique à assumer leurs responsabilités et à abandonner la facilité d'une diplomatie passive et défensive au profit d'une politique étrangère active et audacieuse. Premièrement, il convient de rappeler publiquement aux dirigeants occidentaux leur responsabilité historique dans le renforcement du régime de Kadhafi. Comme jadis, Khomeiny, Saddam Hussein ou Ben Laden, le «guide de la révolution libyenne» a longtemps prospéré sous la protection des puissances américaine et européenne, pour mieux se retourner contre elles le moment venu, une fois que ses forces militaires eurent été suffisamment consolidées. Faut-il rappeler que Kadhafi a acheté à Dassault ses premiers avions de chasse seulement quelques mois après son coup d'Etat militaire en septembre 1969 ? En juin 1973, Kadhafi envahit la bande d'Aouzou en territoire tchadien, mais six mois plus tard, la France et la Libye signent un accord diplomatique sous la forme d'une vente de 32 intercepteurs Mirage F1-C. D'autres contrats juteux seront ensuite conclus par l'industrie d'armement française : des batteries de missiles sol-air et des vedettes lance-missiles. L'attentat contre le DC10 d'UTA, le 19 septembre 1989, gèle le courant d'affaires avec la Libye durant une dizaine d'années. Une nouvelle normalisation des relations diplomatiques avec la France interviendra à partir de janvier 2004 et donnera cours à une multitude de visites présidentielle (Jacques Chirac en novembre 2004), ministérielles (Nicolas Sarkozy en octobre 2005 et Michèle Alliot-Marie à plusieurs reprises) et parlementaires. Paris a également profité de la libération des infirmières bulgares en 2007 pour vendre à la Libye des missiles antichars et un réseau de communication sécurisé Tetra pour sa police. Plus de deux milliards d'euros de contrats d'armement étaient en discussion ces derniers mois entre la France et la Libye, mais les négociations ont été interrompues suite aux évènements récents. Kadhafi a aussi conclu des contrats d'armement avec la Russie en lui achetant des Sukhoï 35 Flanker Plus et des Mig 29 Fulcrum... Deuxièmement, l' UE, les USA, le Japon, les BRIC et le monde arabe doivent décider ensemble de suspendre leurs relations économiques et financières avec Tripoli. Ces pays disposent de plusieurs leviers d'action : gel des avoirs bancaires ainsi que des actifs immobiliers et industriels, surveillance des mouvements financiers, interdictions de visa à l'encontre du clan Kadhafi, arrêt des importations d'hydrocarbures en provenance de Libye. Sur 1,69 million de barils de pétrole brut produits par jour, la Libye en exporte 1,49 million, soit 85% de sa production vers l'Europe. Par ailleurs, l'UE a déjà suspendu ses négociations entamées depuis 2008 sur un tout premier accord bilatéral de partenariat avec la Libye. Troisièmement, donner l'injonction publiquement aux chefs d'Etat et de gouvernement d'agir concrètement pour protéger les civils libyens, sous peine d'être considérés comme responsables du délit politique de non assistance à populations en danger de mort. Ils doivent encourager les défections au sein du régime et faire savoir à tous les individus impliqués dans les atrocités du pouvoir qu'ils seront poursuivis devant le Tribunal pénal international, mais que ceux qui rallieront l'opposition se verront accorder l'amnistie. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit être convoqué au plus vite pour déférer Mouammar Kadhafi, ses fils et ses lieutenants auprès du TPI pour crimes contre l'humanité. Le Conseil de sécurité doit imposer une zone d'exclusion aérienne et demander à l'OTAN de créer rapidement des espaces d'interdiction de vols au-dessus de la Libye en vue d'empêcher les chefs militaires d'utiliser les hélicoptères et les avions pour bombarder et mitrailler les civils. L'ONU doit enfin décider de mesures plus radicales autorisant le déploiement de troupes de la paix mixtes (OTAN, UE, UMA et OUA), pour protéger les civils dans l'est du pays et dans la région de Tripoli. Quatrièmement, l'UE doit faire preuve de générosité dans l'accueil des réfugiés libyens. Face à une crise humanitaire de grande ampleur, l'Italie (qui devrait recevoir une première vague de 200.000 à 300.000 boat people) et les autres pays d'Europe du Sud sont tenus d'étudier les demandes d'asile avec mansuétude, tandis qu'un fonds spécial pour affronter les flux migratoires doit être abondé par ces pays mais aussi par les autres membres de l'UE représentant la partie nord-ouest du continent. La politique que mènera la communauté internationale dans le traitement de la tragédie libyenne sera un test critique de l'efficacité à la fois de l'ONU et du droit international d'ingérence humanitaire. Elle sera surtout un avertissement très clair aux dictateurs en herbe du monde arabe, qui seraient tentés de mener une guerre contre leur peuple. La sanction serait immédiate : l'abandon de la souveraineté de leur pays aux Nations unies et être déférés devant le TPI. Mohammed Benmoussa Chef d'entreprise, Ex-directeur de banque