Symbole paradoxal : alors que le Parlement français a autorisé le 18 juillet 2011, sans surprise et à la quasi-unanimité, la poursuite de l'engagement militaire en Libye, la France cherche désormais le moyen de mettre fin à une guerre coûteuse - un million d'euros par jour - dont elle n'a plus les moyens. Cinq mois après le début de l'intervention de l'Otan, en dépit de la reconnaissance des rebelles du CNT par de plus en plus de pays et du délitement du régime du colonel Kadhafi qui se déclare lui même «le dos au mur», le recours à la seule arme aérienne montre en effet ses limites face à un régime qui dispose de gardes prétoriennes sur-équipées et très motivées. Le Premier ministre François Fillon a ainsi admis qu'en raison de «l'absence d'objectifs détectés» et des «risques de dommages collatéraux», seuls «40% des missions aériennes françaises donnent lieu à un tir» ! Parallèlement, la rébellion ne parvient pas vraiment à s'étendre au delà des zones qu'elle contrôle déjà. Malgré sa victoire dans les montagnes du nord-ouest la semaine dernière, elle est confrontée à une armée libyenne qui semble attendre et a su adapter son dispositif pour tenir et figer des fronts comme par exemple celui de Bir Al- Ghanam à 70 kms au sud-ouest de Tripoli. Au nord-ouest, les insurgés affirment en outre manquer d'armes d'attaque. Sans parler du Ramadan qui approche et constitue un problème pour les chebabs comme pour la coalition. Certes, les responsables de la rébellion assurent que l'offensive ne sera pas suspendue. Mais les combattants redoutent de devoir aller au combat sans boire ni manger dans une chaleur mortelle. Côté coalition, on craint qu'en ce mois sacré, l'hostilité contre cette guerre augmente dans le monde arabo-musulman. Conjuguer dialogue et pression militaire Compte tenu de la difficulté à parvenir à des résultats décisifs sur le terrain et des risques d'effritement d'une coalition au sein de laquelle l'Italie réclame «suspension immédiate des hostilités», la France, travaille de plus en plus sur l'hypothèse d'une sortie de crise négociée. «Prôner le dialogue tout en continuant la pression militaire sur le régime libyen», résume Alain Juppé, le chef de la diplomatie française dans un bel exercice d'équilibrisme. Car pour Paris, qui s'est voulu à l'avant-garde de la coalition anti-Kadhafi, il n'est pas question de donner l'impression de renoncer au départ du dictateur libyen qui multiplie les envois d'émissaires en Europe, en Turquie, aux Etats-Unis. Un tel renoncement serait un désastre politique pour la crédibilité de la coalition et des Européens, la Libye apparaissant comme un test de leur détermination à construire un espace de paix dans leur environnement immédiat. Pire : il serait annonciateur d'un (nouveau) bain de sang pour le peuple libyen à qui Kadhafi ferait payer très cher sa volonté de se libérer. Enfin, il enverrait à tous les dictateurs de la région le signal qu'ils ont intérêt à tenir coûte que coûte. Paris, comme Washington, insiste donc sur le fait que toute solution politique passe par le retrait de Kadhafi du pouvoir et son renoncement à tout rôle politique. «La question n'est pas de savoir si mais quand et comment Kadhafi quittera le pouvoir», a martelé Alain Juppé devant le Parlement. Cette insistance vise à démentir toute négociation directe - complaisamment annoncée par Saïf al Islam, le fils du Guide, au quotidien algérien El Khabar - avec Tripoli sur le dos du CNT. Mais elle est aussi destinée à «recadrer» le ministre français de la Défense Gérard Longuet qui, non content de déclarer : «on s'arrête de bombarder dès que les Libyens se parlent entre eux et que les militaires de tous bords rentrent dans leurs casernes», avait répondu à une question sur la possibilité d'une telle solution sans le départ de Kadhafi : «il sera dans une autre pièce de son palais avec un autre titre» ! Au delà de son côté loufoque, ce faux pas accréditait la thèse que Paris et la coalition s'étaient résignés à l'idée que Kadhafi pouvait rester à la manœuvre pourvu que cela ne se voit pas trop ! Une solution où Kadhafi part sans partir ! Reste que les faits sont là : jusqu'ici la France n'envoyait que des bombes. Désormais elle fait aussi passer des «messages» au régime libyen, en liaison avec ses alliés et le CNT (Conseil national de transition). Premier ministre libyen depuis sept ans, Baghdadi al-Mahmoudi a bien compris qu'il y avait là une opportunité à saisir. Dans une interview au Figaro, il se dit «prêt à négocier sans conditions préalables» - mais pas tout à fait puisqu'il réclame d'abord la fin des bombardements ! – et donne pour «garantie» que le régime ne reprendra pas l'offensive contre les rebelles le fait que Tripoli est «aujourd'hui le plus faible après que 70% de ses capacités militaires aient été détruites». Et d'affirmer : «Le Guide n'interviendra pas dans le dialogue entre toutes les parties qui doit se mener sous l'égide des Nations-Unies et de l'Union africaine en vue de mettre en place le système politique. Tout doit être libre». Certes, c'est la première fois qu'un haut responsable libyen accepte l'idée que Kadhafi se tienne à l'écart des négociations (ce que l'UA affirme aussi avoir obtenu du leader libyen). Mais ces déclarations d'un homme réputé pour son pragmatisme sont à prendre avec précaution, la coalition soupçonnant les Libyens de vouloir «vendre une solution où Kadhafi s'en va sans s'en aller» ! Alain Juppé l'a signifié en affirmant que «les conditions d'un cessez-le-feu ne sont pas réunies» et en réclamant «une déclaration sous une forme à déterminer de Kadhafi annonçant qu'il se retire du pouvoir politique et militaire». Ambiguïtés au sein de la coalition Le sort du dictateur libyen reste donc au cœur du problème et les mandats d'arrêts délivrés notamment à son encontre et à celui de son fils Saëf al Islam ne sont pas faits pour favoriser son renoncement. On peut certes espérer que son isolement et les défections dans son entourage finiront par le faire céder. Mais Kadhafi sait aussi que plus le conflit dure, plus la détermination et la cohésion de la coalition faibliront à la fois pour des raisons budgétaires et militaires. D'autant que les ambiguïtés au sein de la coalition ne manquent pas: sur le rôle de l'Otan, sur le degré d'implication des Américains et sur l'interprétation de la fameuse résolution 1973 de l'ONU qui autorisait le recours à la force en Libye pour protéger les populations civiles… Kadhafi compte aussi sur le casse tête d'une future négociation qui s'annonce ardue. Comment élargir la représentativité du CNT ? Qui contrôlera un éventuel cessez-le-feu alors qu'un nombre effarant d'armes circule dans le pays ? Paris, Londres et Washington souhaitent que des Casques bleus de l'ONU s'en chargent. Ce ne seront pas les moindre défis de l'après Kadhafi.