La Loft Art Gallery, des sœurs Myriem et Yasmine Berrada Sounni, prolonge jusqu'au 15 septembre l'exposition personnelle de Morran Ben Lahcen, «Pensée — Asymetrical Boundaries». Une bonne nouvelle pour tous ceux qui veulent suivre l'évolution du travail de cet artiste de l'avant-garde marocaine. Désormais installé à Salé, Morran Ben Lahcen est né en 1982 à Tahannaout. Sa première particularité est sans doute d'être un autodidacte. Mais si le monde de la peinture en compte suffisamment de grand talent, la seconde est qu'il a commencé sa carrière par le street art. De son enfance dans une ferme des environs de Marrakech, il a un jour déclaré qu'il y «vivait comme Mowgli», proche de la nature — «Hayy ibn Yaqdhan», écrit par Ibn Tufayl au 12e siècle, serait peut-être une référence plus adaptée, mais n'allons pas trop vite. Premières expériences Libre et solitaire, Morran Ben Lahcen développe et nourrit une passion pour le dessin, qui le poussera vers les centres urbains, comme Casablanca, pour y rencontrer musiciens, peintres et sculpteurs de tous horizons. L'expérimentation est son maître-mot, et le graffiti son premier vocabulaire. Il est un des pionniers du genre au Maroc et s'y fait un nom. Toutefois, il n'entend pas se laisser enfermer dans un étroit cliché «urbain». Morran Ben Lahcen a le soutien paternel. Le père n'a pas non plus de formation préalable, mais son regard, ses réactions sont une validation nécessaire à la satisfaction du jeune artiste. Il passe de la rue au travail d'atelier, et conquiert le circuit des galeries. Une résidence et une exposition à la David Bloch Gallery, en 2014, le font entrer de plain-pied sur le marché de l'art. Curieux et touche-à-tout dans son rapport à la matière, il sculpte, tisse ou peint, selon son humeur. Il participe à la transmission aux jeunes générations aux Abattoirs de Casablanca ou investit le showromm de Maserati dans la capitale économique. L'expérience, toujours. Si Morran Ben Lahcen refuse que son activité soit une tour d'ivoire, il estime que l'art se doit d'aider à «changer la mentalité des gens sur le statut et le rôle de l'artiste». Il est partie prenante à la société qu'il observe. La notion de champs magnétiques l'a fasciné. Différents travaux voulaient donner à voir une énergie que l'on ne percevrait qu'étudiée sous le bon angle. Les «nuages de la personne» ont quelque chose de profondément onirique, mais le lyrisme est alors contenu par la froideur du verre et du métal. Montrer l'intérieur à l'extérieur Avec cette exposition «Pensée — Asymetrical Boundaries», l'artiste estime que la vie humaine repose sur le temps et l'acte, précise le catalogue. Ces deux dimensions sont rendues par l'horizontale et la verticale. Sa recherche picturale continue à se géométriser pour exprimer les harmonies et les tensions qu'il pense à l'œuvre dans la condition humaine. L'usage de la couleur est éblouissant. L'importance de sa présence, soulignée par une citation du peintre Robert Delaunay, en 1913, est inscrite sur un mur de la galerie : «Je jouais avec les couleurs comme on pourrait s'exprimer en musique par la fugue des phrases colorées, fuguées». Définitivement marqué par la culture visuelle américaine — de ses débuts dans le street art —, Morran Ben Lahcen va toujours à l'efficace, que la palette soit vive ou rabattue. Il y a beaucoup d'intime dans ces géométries. Il y a «la mémoire et ses variations, ses enchevêtrements, la perception ou l'appréhension du temps, la communication, la connexion entre les êtres...». Les techniques sont souvent mixtes. Les pièces en broderie de fils de soie sur bois ont quelque chose d'organique, qui vient en contraste avec des compositions de monochromes. Beaucoup des travaux géométriques sont littéralement des superpositions de monochromes. Le soin et la minutie apportés à ces œuvres signent leur appartenance au monde des «grands», de ceux dont le choix de vocabulaire est aussi exigeant que le propos. Ceux, en somme, pour qui l'extérieur doit être en adéquation avec l'intérieur. La traduction en français du texte classique d'Ibn Tufayl a parfois été titrée : «Le Philosophe autodidacte». Cela semble bien résonner avec le parcours de Morran Ben Lahcen, toujours ouvert. Murtada Calamy / Les Inspirations ECO