Pour Marc Ona, Secrétaire exécutif de l'ONG Brainforest, les pays africains doivent d'abord commencer à financer les projets climatiques sur le continent avant de compter sur les promesses des pays étrangers. Car, selon lui, ce sera une manière de combler le retard dans les énergies renouvelables et de rentabiliser les investissements. Interview. Comment évolue le financement du climat en Afrique ? Malheureusement pas assez. En dehors de quelques propositions lors des réunions climatiques, comme la dernière fosi à Paris à l'initiative de la France, où de maigres accords ont été signés – avec la République Démocratique du Congo par exemple -, il n'y a que des promesses non tenues. Parce que pour les grands pollueurs, les promesses n'engagent que ceux qui y croient. uels sont les mécanismes de financement climatique qui existent en Afrique ? Les principaux mécanismes existants sont essentiellement des financements à base de projets de crédits carbone. Or, aujourd'hui, les gouvernements africains ont tendance à vouloir confondre ces projets de crédits carbone comme les dons souverains qui finiront dans les paradis fiscaux. Sauf qu'ils se trompent ! La vente de crédits carbone est orientée directement vers les projets à impact social exécutés par les ONG et financés par les multinationales. Les crédits carbone souverains n'ont, aujourd'hui, pas d'acheteurs. C'est le cas des crédits carbone souverains du Gabon qui, jusque-là, ne trouvent pas preneurs. Est-il rentable de financer des projets ou d'investir dans les secteurs des énergies renouvelables en Afrique ? Oui, parce que pour un développement durable on ne peut pas faire l'impasse sur des énergies renouvelables. L'Afrique souffre d'un déficit criant en énergie. Et je pense que c'est un paradoxe, au regard du potentiel de notre continent en la matière. Il faut donc miser sur ces énergies renouvelables, non seulement pour rattraper le retard en termes d'électrification et de production d'énergie, mais aussi pour rentabiliser les investissements dans un secteur incontournable. Que proposez-vous pour améliorer le financement climatique en Afrique ? Je propose que les Africains mettent la main à la poche dans un premier temps, avant d'attendre la générosité de la communauté internationale. Oui, il faut agir ainsi, et ne pas toujours se comporter comme si les dégâts environnementaux majeurs constatés en Afrique étaient essentiellement l'œuvre des multinationales. La responsabilité des Africains qui signent tout et n'importe quoi est bien engagée. Quelle est votre position sur la question de l'exploitation des ressources fossiles par rapport aux énergies renouvelables ? Je pense que c'est un débat faussé dès le départ. Si nous nous orientons vers les énergies renouvelables, solaires ou éoliennes, nous serons toujours obligés d'exploiter les ressources naturelles en Afrique. La seule problématique à poser est celle des études d'impact environnemental, qui prennent en compte les problèmes climatiques dans l'exploitation de nos ressources. Le problème se pose au niveau du rythme d'exploitation des ressources et pas forcément dans l'exploitation de ces ressources. Nos pays ont eux aussi besoin de se développer à l'image des pays occidentaux. L'essentiel des ressources naturelles qui font vivre le monde vient d'Afrique alors que nous sommes les derniers à en bénéficier. Si les financements arrivent, quels sont les projets prioritaires sur le continent ? Je pense que c'est là où les pays africains doivent nous dire exactement ce que l'on fera de cet argent. Il ne sert pas à grand-chose de mobiliser des financements, mais le plus important c'est de montrer la pertinence des choix pour la destination de ces fonds. Avec la covid, beaucoup de pays ont mobilisé des fonds pour la pandémie. Mais dans certains pays africains, l'essentiel de cet argent a été détourné. Est-ce que le même risque ne se pose pas avec le Fonds climatique ? Prenons l'exemple de la fameuse Muraille verte africaine : est-ce qu'elle va être construite uniquement avec des fonds étrangers ? À quel niveau de participation les pays africains sont-ils en train de s'illustrer ? Il nous faut donc des projets prioritaires, qui ont un impact sur la vie des populations. Les fonds doivent aussi être contrôlés par l'action citoyenne. Pensez-vous qu'au-delà des engagements, il y a une prise de consciente de la question climatique au niveau des gouvernements ? Le premier «couac» de la COP27 est que les deux gros pollueurs ont montré une certaine indifférence. Le président des Etats-Unis ne s'est déplacé qu'après les élections de mi-mandat chez lui, alors que celui de la Chine n'a même pas jugé nécessaire de participer. Cela dit, je dénonce la multiplication de ces COP, qui se soldent souvent par des échecs. Il nous faut un engagement ferme et sincère, au-delà des aspects financiers, surtout que nous sommes dans un contexte de réchauffement réel des températures et de multiplication des risques et des répercussions de cette hausse des températures. Comment se matérialise au quotidien le changement climatique en Afrique ? Au niveau du continent, le changement climatique se matérialise par des faits que nous sommes en train de vivre au quotidien. La question des inondations est là pour nous le rappeler et cela s'explique par le fait que dans nos villes, il n'y a pas de système d'assainissement performant. Pourquoi continuons -nous, sur un autre volet, à accorder des permis forestiers alors que nous avons le choix entre une exploitation durable et celle basée sur l'économie ? Il ne faudrait pas que la question climatique soit uniquement une question d'argent, mais de prise de conscience des phénomènes que nous sommes en train de vivre au quotidien. Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO