Au début du mois de décembre, le conseil d'administration de la Banque mondiale a approuvé un prêt en appui au chantier de la protection sociale au Maroc. Dans cet entretien exclusif, Jesko Hentschel, directeur de la région Maghreb à la BM, détaille la ventilation de ce joli «cadeau» de fin d'année de 400 millions de dollars. Quels ont été les arguments du Maroc pour convaincre la Banque mondiale de la pertinence de cet appui financier ? La Banque mondiale accompagne, depuis plusieurs années, le Maroc dans le chantier de réforme de ses programmes sociaux, notamment à travers l'appui financier et technique pour le déploiement du Registre national de population et d'un Registre social unifié RNP/RSU, clé de voûte d'une meilleure identification des bénéficiaires, d'un meilleur ciblage et donc d'une meilleure efficacité de ces programmes. La Banque mondiale a également mobilisé une expertise de pointe au service du Maroc pour l'exposer aux meilleures pratiques mondiales en ce qui concerne les programmes de protection sociale les mieux conçus, mais aussi les techniques d'identification les plus avancées et les plus fiables, permettant de garantir la protection des données personnelles. Avec l'avènement de la crise Covid-19, il était tout naturel pour nous de poursuivre cet accompagnement, dans le sillage du programme qui était déjà en cours. Ceci, d'autant que la question du développement inclusif, et donc d'une meilleure protection des populations vulnérables et du renforcement de leur résilience, fait partie de notre mandat en tant qu'institution de développement. Depuis le début de cette crise, la Banque mondiale s'est mobilisée aux côtés du gouvernement pour répondre au mieux aux priorités sociales et économiques émergentes et pour tenter d'atténuer l'impact de cette crise, notamment sur les catégories les plus vulnérables de la population. Quelle est la nature de celui-ci ? Il s'agit d'un programme d'investissement avec des décaissements liés à la performance dont la mise en œuvre s'étalera sur une durée de 3 ans. Le projet appuie d'une manière rétroactive la réponse d'urgence du gouvernement pour atténuer l'impact de la crise Covid-19 sur les ménages pauvres et vulnérables. Le projet renforcera aussi les programmes de transferts monétaires existants et futurs pour protéger et renforcer la résilience des ménages. Outre l'appui financier, est-ce qu'il est prévu un appui technique pour accompagner le royaume dans la réalisation de ce vaste programme de réformes ? La Banque mondiale fournit actuellement un appui technique qui couvre plusieurs volets, notamment le développement des systèmes d'identification et la digitalisation des transferts monétaires des programmes sociaux. D'autres assistances sont en cours de préparation pour répondre aux nouveaux besoins du gouvernement. 400 millions de dollars, c'est certes une enveloppe conséquente, mais est-elle suffisante pour la réalisation d'un tel programme ? Ce financement est destiné à accompagner le Maroc dans sa réponse à la crise économique et sociale induite par la pandémie, mais aussi pour initier une transition vers une réforme plus profonde de sa protection sociale. Parallèlement à ce programme, la Banque mondiale appuie le gouvernement à travers d'autres opérations dans lesquelles le volet social reste proéminent. La banque reste engagée à poursuivre son appui au gouvernement marocain dans ce chantier hautement stratégique pour l'avenir du pays. Quels sont les efforts à déployer par le pays pour bâtir un système de protection sociale solide à l'avenir ? Tout d'abord, et comme indiqué précédemment, la mise en place du RNP/RSU représentera la pierre angulaire des programmes de protection sociale existants et futurs pour assurer une meilleure identification et authentification des bénéficiaires. De plus, le projet de généralisation des allocations familiales devra reposer sur des programmes sociaux harmonisés dans lesquels les données sur les ménages doivent prendre en compte des critères similaires en matière de ciblage. Il s'agit donc d'un volet essentiel de la réforme. Enfin, la digitalisation des transferts monétaires est un autre chantier essentiel pour faciliter l'accès des bénéficiaires aux aides et aux services. Comment procéder pour une remise à plat concertée des programmes de protection sociale dans le but d'aligner leurs objectifs et de les rendre plus efficaces ? Les efforts en cours, pour la mise en place de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) et la généralisation des allocations familiales, représentent une étape fondamentale pour assurer une couverture et une efficacité optimales de la protection sociale notamment pour les enfants et les populations vulnérables. Un débat sur le financement de cette stratégie est très important pour garantir à la fois une viabilité du système et un impact positif sur les bénéficiaires. Une harmonisation et une amélioration de la gouvernance de tout le système de la protection sociale devraient accompagner cet effort pour assurer la réussite de cette importante réforme sociale. Quelle évaluation est faite de la gestion des fonds de la Banque mondiale alloués au Maroc ces dix dernières années ? Tout d'abord, je tiens à vous dire que le Maroc est l'un des clients de la Banque mondiale qui fait l'usage le plus optimal de nos divers instruments, aussi bien en termes de financement, d'assistance technique que de partage de connaissances. Le partenariat stratégique entre le gouvernement du Maroc et le groupe Banque mondiale représente le cadre qui régit les interventions de la Banque mondiale qui s'alignent sur les priorités de développement du gouvernement, mais aussi aux domaines dans lesquels la BM apporte une valeur ajoutée en termes d'expertise. Au cours des dix dernières années, la Banque mondiale a accompagné le gouvernement marocain dans sa mise en œuvre de programmes de développement structurants dans divers secteurs. L'exécution de ces programmes s'appuie, du côté du gouvernement, sur des unités de projets dotées de compétences humaines et techniques de qualité. Ces unités travaillent en étroite collaboration avec nos équipes pour assurer le bon déroulement des projets et le suivi des résultats. En ce qui concerne la gestion des fonds, celle-ci se fait sur la base de normes fiduciaires conjointement validées par les deux parties dans les accords de prêts pour veiller à ce que l'exécution des projets soit conforme aux critères de transparence, d'intégrité et de bonne gestion financière. Enfin, la Banque mondiale dispose d'un organe d'évaluation indépendant qui produit des rapports réguliers sur l'évaluation des programmes et de leur impact. Il s'agit de rapports publics, qui nous éclairent sur la bonne marche des projets et nous permettent de tirer des enseignements, mais aussi les meilleures pratiques, pour une meilleure conception des programmes futurs. 400 millions de dollars, pour quoi faire ? Il y a quelques jours, la Banque mondiale (BM) donnait son accord pour le déblocage de 400 millions de dollars au titre du chantier national d'élargissement de la couverture sociale, devant être enclenché dès le mois prochain sur instructions royales. Ce montant devrait permettre de couvrir à la fois les transferts monétaires d'urgence du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie au Maroc et les allocations liées aux programmes existants de protection sociale. Ce projet, qui intervient sur fond de la crise de Covid-19, devrait aider les ménages pauvres et vulnérables pendant la pandémie et renforcer leur résilience aux futurs chocs, précisait la Banque mondiale. L'institution avait expliqué la pertinence de son présent appui financier en rappelant que la crise sanitaire a touché de manière disproportionnée les pans les plus démunis de la société marocaine et les moyens de subsistance de milliers de ménages. Elle aurait privé d'activité environ 712.000 employés du secteur formel et 4 millions de travailleurs du secteur informel. Le programme en question devrait ainsi financer une aide sociale à ces catégories fragilisées tout en renforçant les capacités des plus démunis à surmonter la crise, fait savoir la BM. Au-delà de l'impact sur les revenus, la crise a mis à mal l'aptitude de nombreux enfants d'âge scolaire dans des familles vulnérables à poursuivre leurs études. Pour éviter une régression des avancées en termes de développement humain, le projet soutiendra le programme Tayssir de transferts monétaires conditionnels dans le secteur de l'éducation. Khadim Mbaye / Les Inspirations Eco