La question du ciblage des populations éligibles à des programmes d'aides de l'Etat s'est de nouveau posée quand le Comité de Veille économique (CVE) devait décider de l'affectation des transferts monétaires à une population vulnérable touchée par les effets de la pandémie Covid-19, souligne l'économiste Larabi Jaidi. Pour l'économiste, les programmes de filets sociaux au Maroc ont adopté des pratiques variées, allant de l'absence de ciblage pour le plus important d'entre eux, la compensation hors FNBT, au ciblage individuel par le TEM. Dans la plupart des cas, il a été nécessaire de choisir la méthode ou la combinaison de méthodes que l'on considérait comme la plus appropriée. Il est fréquent qu'un programme ait recours à plusieurs méthodes dans la perspective de conduire à un meilleur ciblage que l'utilisation d'une méthode exclusive. Il rappelle que depuis son lancement dans les années 1990, la stratégie de lutte contre la pauvreté a mobilisé des programmes à objectifs multiples allant des actions de réduction des disparités sociales et régionales en matière de développement humain (santé, éducation et revenu), à l'allégement des impacts de chocs exogènes (sécheresse, inondations etc.), en passant par le renforcement des infrastructures de base (accès à la route, à l'électricité et aux points d'eau..). Les performances des programmes dépendaient de la connaissance, non seulement de leur incidence numérique sur la pauvreté, mais aussi de leur profondeur et de leur reproduction aux niveaux territoriaux les plus fins. Les ressources nationales étant limitées, c'est du ciblage de leur affectation que dépend l'efficacité des programmes. La disponibilité d'une base de données, périodiquement actualisée, sur la pauvreté au niveau local le plus opérationnel était dès lors déterminante. L'économiste note que les difficultés du ciblage sont devenues le mode d'explication des limites d'impact de programmes sociaux. Les travaux du HCP et de la Banque mondiale ont clairement montré que : les dépenses publiques consacrées aux subventions de la Caisse de compensation sont pro-riches ; les dépenses publiques au préscolaire, à l'enseignement fondamental et, dans une moindre mesure, au collège, privilégient clairement les moins favorisés ; l'augmentation de la couverture des transferts publics a surtout touché les riches; la répartition des transferts monétaires avantage les ménages aisés et les transferts institutionnels jouent un rôle toujours plus important pour les riches que pour les pauvres. D'après le chercheur, pour améliorer l'efficacité des politiques ciblées, il faut minimaliser les erreurs d'inclusion et d'exclusion. Mais, il est difficile de diminuer les unes sans augmenter les autres. Un arbitrage entre les deux types d'erreurs est, donc, souvent nécessaire. En effet, imposer des critères très stricts au ciblage permet de réduire le gaspillage, ou encore les « fuites », mais limite, en général, la couverture des pauvres. A l'inverse, augmenter la couverture de la population ciblée conduit généralement à inclure une partie de la population non ciblée. L'exemple extrême est certainement celui d'une politique universelle qui permet d'atteindre tous les pauvres mais aussi tous les non-pauvres, maximisant ainsi les erreurs d'inclusion. Il est ainsi essentiel de mettre en place des systèmes d'information et de gestion (SIG) pour les différents filets de sécurité et régimes de protection sociale et rendre les systèmes d'information fonctionnels pour échanger des informations entre eux (interopérabilité). C'est , aussi, une tâche essentielle pour permettre aux programmes des filets sociaux et de la protection sociale d'identifier les bénéficiaires et de vérifier le respect des conditions. Pour une mise en œuvre efficace et efficiente du ciblage, il est nécessaire de doter l'Administration (ou les administrations) en charge des programmes de filets sociaux et de protection sociale d'un dispositif intégré et harmonisé. Le Gouvernement a lancé la mise en place d'un dispositif de ciblage unique, en vue d'améliorer l'efficacité des programmes de protection sociale et de rationaliser l'utilisation des ressources et des moyens mobilisés. Ce projet devait s'étaler sur une durée de cinq ans (2017-2021) et être mis en œuvre dès l'année prochaine. Il accuse un retard sur la programmation initiale. Toutefois, un premier pas a été déjà franchi dans ce sens, à travers le lancement de la mise en place du Registre national de la Population et du Registre social unique. Ces deux dispositifs (RNP et RSU) seront gérés par une Agence nationale des Registres, qui sera chargée d'administrer et de garantir une utilisation optimale des informations contenues dans les deux registres, note l'économiste.