Nous le connaissions peintre, poète, un peu écrivain et même joaillier, mais surtout artiste. Aujourd'hui, c'est en tant qu'Africain qu'il se dévoile à son public. Mehdi Qotbi, expose depuis le 10 décembre dernier à la Galerie «Loft Art Gallery» à Casablanca. «Ecrits et esprits», est une série d'œuvres qui réunissent «les deux parties» de son identité. Cet entrelacement des calligraphies arabes aux tracés des masques africains, représente la personnalité tortueusement riche du peintre. Une double identité qui l'habite depuis longtemps, mais qu'il aura «laissée digérer avant de la mettre sur toile». Selon lui, «ce qui m'a nourri dans ce travail, ce sont mes racines africaines». «Une relation qui ne date pas d'hier», témoigne-t-il. Car entre son chez-lui muré de ces masques africains, et ses mémorables rencontres avec les plus grands auteurs de la négritude, Mehdi Qotbi est incontestablement lié à ce continent nourricier qu'il habite...et qui l'habite. Et c'est un continent riche en couleurs que le peintre nous donnera à partager à travers ces superbes toiles. Comme à son habitude, Qotbi ne lésine pas sur les teintes. «J'aime les couleurs, car j'aime profondément la vie. Pour moi, la vie sans couleurs est triste, c'est la mort». Mais ce n'est pas tant la quantité de couleurs, qui fait rayonner ses créations. Plutôt ce qu'elles expriment. Le noir, qui «n'est pourtant pas une couleur», d'après l'artiste «a trouvé sa place dans la collection grâce au travail de la lumière». Un travail inspiré du peintre français Pierre Soulages. L'exposition qui se poursuivra jusqu'au mois de janvier laisse transparaître un presque nouveau Mehdi Qotbi. Peut-être qu'après toutes ces grandes rencontres, celle d'avec l'Afrique aura était la plus longue et la plus enrichissante. Une vie au fil des rencontres Qu'est-ce qui fait de Mehdi Qotbi l'artiste qui a fait le tour du monde en moins de temps que Jules Verne n'en a eu pour l'écrire? Son talent ! Certes, mais également un chemin parsemé de rencontres «toutes aussi exceptionnelles les unes que les autres». Parmi toutes ces personnes, il serait incapable d'en privilégier une en particulier. «Il me faudrait des jours et des nuits entières pour parler de la chance qui m'a été donnée de faire ces rencontres» dit-il. Ainsi, «chacune d'entre elles est liée à une histoire passionnante». Il nous parlera d'Aimé Césaire, de Louis Aragon et beaucoup de Léopold Sédar Senghor. Et il nous racontera avec émotion et poésie celle qu'il aura faite avec le défunt roi Hassan II. «Cette rencontre sentait bon le musc et dégageait les plus belles couleurs. Sa voix raisonnait comme une musique. Car il utilisait les mots comme s'il les brodait. C'était un homme qui avait un sens de la phrase qui m'a profondément bouleversé et fasciné». Chance incroyable ou conséquence d'un hasard bienfaisant, cet amoureux de la vie croit à sa bonne étoile ou comme il le dit à «la fée», qui se serait penchée sur lui quelques jours après sa naissance. Malgré une enfance difficile, l'artiste saura apprécier les petits bonheurs de la vie. «Je connais la valeur de chaque chose. Chaque sourire, caresse ou mot gentil». C'est peut-être finalement, cet amour incommensurable pour la vie qui lui aura valu un tel destin. Trois Mehdi, deux mères, une vie Peintre le matin, philosophe l'après-midi et à chaque fois plus différent le soir. Mehdi Qotbi n'est ni schizophrène, ni lunatique, il est tout simplement artiste. «Je suis un peu comme ces impressionnistes dont les humeurs suivent le rythme de la journée». Des humeurs, qui maquillent ce visage toujours souriant et accueillant. Les souffrances sont derrière lui et Qotbi en est fier. «Je ne peux pas regarder l'avenir si je ne regarde pas avec lucidité ce que je suis, et le passé que je traîne derrière moi». Aujourd'hui, il porte beaucoup d'amour à son pays et dira «qu'on ne peut se sentir bien, qu'en étant en cohésion avec ses racines». Et la France? Ce pays d'accueil qui l'a vu grandir? «J'ai une relation charnelle avec ce pays». Un peu comme la mère affectueuse qu'il aurait aimé avoir. La France «m'a permis de grandir». Mais entre les deux nations, la question ne se pose pas. «Je porte un amour passionné pour ces deux pays. Et c'est un sentiment que je partage avec la même intensité» affirme-t-il. Petit Mehdi, futur Qotbi Loin d'imaginer une seule seconde que ce petit gamin du quartier de Taqaddoum à Rabat puisse un jour serrer la main de trois présidents de la république Française ou celle du défunt roi Hassan II, le petit Mehdi a fait bien du chemin depuis. Aujourd'hui, en dépit d'un parcours incroyablement riche, il continue à s'émerveiller au quotidien. Devant ce que la vie lui apporte, de biens, d'amour et d'amis, l'artiste plusieurs fois primé, semble garder en lui ce petit garçon plein d'audace et de courage, mais surtout plein d'amour. C'est ce que nous retiendrons de cette rencontre avec ce passionné inconditionnel. Dans dix, vingt ans ou bien plus, Mehdi Qotbi s'imagine tout simplement comme il est aujourd'hui, c'est à dire, tout aussi émerveillé qu'émerveillant, un fidèle dispensateur d'amour. «Pour moi, c'est ma lumière, mon quotidien...c'est tout!». Un amour qu'il transmet à travers ses toiles. «Je mets beaucoup de temps à accoucher d'une œuvre. Cela me prend des heures, des jours voire des semaines». Plus précisément entre un mois et demi à deux mois pour une toile de 1,5x 1,5 m. L'exposition en compte plus d'une vingtaine. Si ça ce n'est pas de l'amour... sophia akhmisse «Poète des couleurs» C'est ainsi que l'avait nommé l'un des hommes de lettres les plus marquants de l'histoire du continent africain, Léopold Sédar Senghor. Symbole de la négritude, Senghor avait partagé bien plus qu'une simple rencontre avec Mehdi Qotbi. «Nous avons entretenu une relation forte». En 1984, et pendant plusieurs mois, les deux hommes ont partagé leurs expériences. Un échange qui donnera naissance à deux ouvrages communs. Face à un Senghor aussi impressionnant ou un Aimé Césaire encore plus déconcertant, Mehdi Qotbi, se souvient du tact de ces grands penseurs. «Ils savaient donner l'impression qu'ils apprenaient de moi autant que j'en apprenais d'eux, alors que je n'avais pas autant d'expérience qu'eux». Une grandeur d'âme qui restera toujours inscrite dans le cœur de ce «poète des couleurs». Ainsi, si la calligraphie arabe a été un langage auquel il s'est identifié pendant de nombreuses années, Mehdi Qotbi estime qu'il est à présent temps d'affirmer son identité africaine. Et d'ainsi relier ce langage calligraphique à celui des masques africains, qui témoignent d'une langue profondément silencieuse, mais inéluctablement expressive.