C'est demain que les différents ministères devront rendre leur copie pour pouvoir tracer la ligne directrice du projet de loi de finances 2013. La première qui sera pensée, conçue, composée, signée et enfin proposée au vote du Parlement... par et pour le gouvernement d'Abdelilah Benkirane. Ce dernier a finalement la vraie grande occasion d'appliquer sa gouvernance à sa manière et compte bien en profiter. Toute la symbolique y est... même si la «rupture» attendue s'annonce absente. En effet, à la lecture de la lettre de cadrage du chef de gouvernement, plusieurs analystes s'accordent à dire qu'il n'y aurait pas de véritable rupture par rapport au projet présenté par le gouvernement sortant et ceux antérieurs. En d'autres termes, l'orientation stratégique serait la même, puisque l'on continue toujours sur la même voie : chercher la croissance avec un modèle basé sur la stimulation de la demande interne, alors que l'offre interne manque de productivité et de compétitivité. Certes, le gouvernement actuel a apporté une touche sociale plus appuyée (fonds de solidarité sociale, emplois publics, l'exonération de la TVA sur les médicaments des maladies chroniques...). Seulement, cette touche ne devrait pas s'inscrire dans la gestion de l'instantané, notamment par l'achat d'une paix sociale de courte durée, ni hypothéquer l'avenir des finances publiques du pays. Toute action doit, en effet, entrer dans le cadre d'une stratégie globale et claire. Nous avons besoin d'une stratégie de protection sociale et de lutte contre l'économie de rente qui s'inscrivent dans la durée, tout en activant les moteurs de la croissance, notamment l'investissement public et l'emploi. Des orientations que la lettre de cadrage, déjà déposée en retard, n'explicite nullement. Celle-ci insiste, par ailleurs, sur la concrétisation des réformes structurelles lancées ou en cours de lancement par le gouvernement. Sur cet aspect, de la Caisse de compensation à la fiscalité en passant par la loi de finances, l'agenda 2013 du gouvernement ne désemplit pas, dans l'objectif annoncé de promouvoir la bonne gouvernance. Dans la déclinaison opérationnelle de toute cette vision, plusieurs départements ministériels devraient voir leur portefeuille budgétaire relativement gonfler, au détriment d'autres. Cela, même si d'aucuns estiment également que peu de modifications seraient apportées à la structuration traditionnelle des budgétisations ministérielles. Education et enseignement supérieur... Premier de la classe ! Réforme, réforme et réforme. Le mot ne cesse de faire le tour de toutes les lèvres concernant le secteur de l'enseignement supérieur, en l'occurrence. Lahcen Daoudi permet plus de moyens financiers aux universités, mais préfère aller chercher cet argent dans la poche des étudiants et de leurs parents. Le ministre compte également s'investir dans l'amélioration des conditions de travail du corps enseignant et professoral : logements, statut, salaires... tout ceci nécessitera du cash. Cela, d'autant plus que le dernier message royal se veut sans ambiguïté et insiste sur l'accélération de cette refonte, encore débattue au sein de ses principaux acteurs, ainsi que sur ses débouchés. L'Agriculture, en session de rattrapage 2013 devrait coïncider avec la seconde vitesse - et cinquième année - de mise en œuvre de la stratégie de développement du secteur. Elle sera également particulière parce qu'elle fait suite immédiatement à une campagne agricole moyennement réussie. Autant de facteurs qui font qu'Aziz Akhannouch ne devrait pas avoir du mal à faire grossir son portefeuille devant les partenaires, dans le cadre de la LF 2013. Néanmoins, la formule du partenariat public-privé privilégiée dans la réalisation du Plan Maroc vert, servira de «circonstance atténuante» pour le Budget du ministère. Du côté des nouveautés en projet dans le secteur agricole, celles-ci se réaliseront surtout dans le cadre de la création de l'Office national de la consultation agricole. Cette nouvelle structure, dont la loi portant la création vient de voir le jour, devrait en effet polariser toutes les ressources humaines et techniques dédiées à la consultation agricole, gérées précédemment par les services du département de l'Agriculture. Le secteur connaîtra également beaucoup de dépenses d'investissement dans le soutien et les nombreuses subventions financières destinées aux petits producteurs, dans la protection et l'extension des surfaces agricoles du royaume (Une étude est déjà lancée dans ce sens, vis-à-vis du développement de l'urbanisation, cf: www.lesechos.ma), etc. Equipement et transport, continuité... mais à vitesse réduite L'heure est à la «rationalisation» et le chef de gouvernement en avait déjà annoncé la couleur dès sa nomination à la tête du gouvernement, il y a un peu plus de six mois maintenant. Résultat : quasiment pas de nouveaux projets d'infrastructures d'envergure - financés par l'Etat - en vue pour le prochain exercice budgétaire de l'Etat, mais uniquement la poursuite de la réalisation de projets d'investissements déjà lancés et budgétisés dans les précédentes lois de finances. C'est par exemple le cas du programme national de routes rurales, lancé pour un total d'investissements à terme de 10 MMDH. La poursuite de l'extension du réseau autoroutier du royaume est également à inscrire dans le volet «équipement». Du côté des transports, le maritime devrait être à l'honneur dans la prochaine loi de finances. Une stratégie est déjà à l'étude, même si plusieurs observateurs du secteur le prévoient plutôt pour la LF 2014, le temps de faire aboutir les études de faisabilité en cours. À ces deux grands volets, devraient s'ajouter d'autres projets d'infrastructures transversaux dans les secteurs de l'eau, de l'énergie et de l'agriculture. Emploi et formation professionnelle, la patate «chaude» Il reste le nerf de la guerre. Le gouvernement devra en créer... et en faire créer. La conjoncture ayant fortement pesé sur les capacités de recrutement du secteur privé et sur un fond de dialogue social de «sourds», l'Etat devra prendre le taureau par les cornes. La problématique est d'ailleurs inscrite dans les principaux axes de la lettre de cadrage portant élaboration de la prochaine LF, ce qui devait placer le ministère d'Abdelouahed Souhail parmi les priorités budgétaires. Il faut savoir que ce dernier aura fort à faire avec ou sans le privé : le chômage piétine. Au sujet du taux de chômage, avec 12,3% en milieu urbain et 3,5% en milieu rural, il s'est établi au deuxième trimestre 2012 à 8,1% au niveau national contre 8,7% au même trimestre de l'année 2011. Le taux de sous-emploi a également reculé de 10,8 à 9,6% au cours de la même période. Ce niveau relativement bas du taux de chômage, en comparaison avec le premier trimestre de 2012 (9,9%), reste conforme à la tendance traditionnellement constatée au cours des deuxièmes trimestres. Intérieur, les collectivités locales à l'honneur La régionalisation - la vraie - et le nouveau statut des collectivités locales, ainsi que les retombées du dialogue social entamé entre les syndicats des services communaux et leur tutelle, en particulier, devraient être au centre des enjeux pour le département de Mohand Laenser. Ce dernier devrait en effet disposer de plus de moyens, surtout financiers, pour faire face à tous ces défis. Dans les dossiers sur la table du dialogue social sectoriel, figurent en effet la mise en place d'une fondation des œuvres sociales, la définition d'un nouveau statut pour les fonctionnaires, ainsi que la mise en place d'un système d'allocations. Autant de revendications qui, acceptées par l'Etat, devraient gonfler le Budget de l'Intérieur. Par ailleurs, un autre enjeu porte sur l'activation du volet du Plan Maroc numeric, relatif aux services dédiés aux citoyens. Les syndicats et la tutelle cherchent en effet à se mettre d'accord sur un Plan d'accompagnement des ressources humaines des collectivités. Hassane El Arafi, Professeur de finances publiques à l'Université Mohamed V-Agdal Rabat et ancien magistrat de la Cour des comptes. «Chaque département se considère comme étant le plus stratégique» Les Echos quotidien : Dans quelques jours, les différents ministres devront rendre leurs copies, avaient-ils assez de visibilité pour préparer leurs budgets pour 2013 ? Hassane El Arafi : Il faut préciser que la visibilité ne se décrète pas en mettant simplement un deadline (6 septembre) pour transmettre les propositions, mais elle se construit, suivant une logique programmatique bien établie. D'abord les premiers jalons de la visibilité, sont les orientations avancées dans la lettre de cadrage du chef de gouvernement, qui semble cette année retardataire !! Ensuite, il y a tout un processus d'arrière-plan qui commence, dans un premier temps, par la consolidation des demandes de chaque organisme dépensier à travers des négociations internes entre les services centraux et les services déconcentrés (et parfois des diktats, en l'absence de contrats objectifs moyens). Dans un second temps, chaque département dépensier est convié à défendre sa morasse budgétaire, dans le cadre de ce qu'on appelle des «conférences budgétaires», avec les services de la direction du Budget ; ces conférences pourraient se terminer par divers scénarios : imposer des amputations, proposer des réaffectations, quitte à faire appel à l'arbitrage du chef de gouvernement, le cas échéant, en cas de désaccord entre l'organisme dépensier et les autorités budgétaires. Ainsi donc, la visibilité est bien la résultante, d'une part de la maîtrise du processus de la programmation intraministérielle, en rompant avec les habitudes de reconduction et de l'annualité pure et simple et d'autre part, de mission de leadership que doit jouer la direction du Budget dans l'arbitrage entre les différents programmes budgétaires. C'est à partir de ces ingrédients qu'on peut parler de la visibilité pas uniquement des départements ministériels, mais aussi de tout l'appareil de l'Exécutif. Quels seraient, à votre avis, les ministères «budgétivores» cette année? Il y a depuis toujours une certaine rivalité entre les différents programmes ministériels ; chaque département se considère comme étant le plus stratégique pour argumenter ses demandes budgétaires. Or, ce sont les orientations de la lettre du chef de gouvernement qui devaient tracer les critères de priorisation. Etant donné que les termes de celle-ci sont assez généralistes, il serait prétentieux de répondre exactement à la question de savoir quels seront les départements «budgétivores». Toutefois, si on s'inscrit dans la conduite de la reconduction (qui resterait légèrement modifiable), la structure de notre budget a toujours été marquée par les ratios suivants : 22% de dépenses d'investissement, 35% de dépenses du personnel, 13% de dépenses de frais de fonctionnement, 8% de services de la dette, 17% de dépenses de compensation. Les ministères les plus dépensiers (+ 70%) sont celui de l'Equipement et du transport, de l'Agriculture, de l'Education, de l'Enseignement supérieur, de l'Intérieur et de l'Emploi. 2013 s'annonce difficile d'autant que la loi organique des finances n'est pas encore prête... En termes de programmation, il n'y a pas une relation directe entre le caractère difficile de la conjoncture et la loi organique des finances, dans la mesure où la maîtrise budgétaire dépend tant de la qualité du management budgétaire et du bon cadrage des équilibres macro-économiques que de procédures juridiques de budgétisation. Néanmoins, cela n'empêche pas de dire que la réforme envisageable de la loi organique des finances doit constituer une occasion pour institutionnaliser les moyens de la bonne gouvernance budgétaire.