Le gouvernement Benkirane dévoile ses cartes... ou presque. L'Exécutif a rendu publique cette semaine les principales orientations qui seront retenues pour l'élaboration du projet de loi de finances et le moins que l'on puisse dire, c'est que cela donne un premier goût de ce que sera l'austérité en version marocaine. En effet, il devient aujourd'hui clair que le mot d'ordre en 2013 sera de «serrer la ceinture» et pour cause, Abdelillah Benkirane annonce clairement à ses ministres dans sa lettre de cadrage qu'il sera question de «maîtrise des dépenses et de rationalisation de leur utilisation». Il s'agit pour le chef de gouvernement d'une condition indispensable pour parvenir à l'atteinte des objectifs que se fixe l'Exécutif. Est-ce une surprise ? Pas vraiment, puisqu'économistes et observateurs s'attendaient déjà à pareille insistance vu que la conjoncture actuelle rend les marges de manœuvre de l'Exécutif plus réduites que jamais. Du coup, maîtriser le déficit budgétaire afin de rééquilibrer le cadre macro-économique et soutenir l'économie pour la rendre plus compétitive imposait de fait une maîtrise optimale des dépenses, particulièrement de celles de fonctionnement. En revanche, ce qui n'était pas attendu, c'est d'avoir une lettre de cadrage d'une loi de finances sans hypothèses de croissance, ni prévision du déficit budgétaire, ni même le prix du baril de pétrole à retenir dans le calcul du budget. Pour justifier l'absence d'hypothèse dans la lettre d'orientation générale, le gouvernement fait valoir la carte «temps». En fait, il s'agirait de retarder au maximum la fixation des hypothèses en vue d'éviter le même scénario que celui de l'année dernière où elles se sont avérées, au moment de l'achèvement de la loi de finances, en décalage avec la réalité du contexte. Par ailleurs, force est de constater que même en l'absence de ces hypothèses chiffrées, le cadrage de la LDF, semble être des plus ambitieux, à commencer par son volet fiscal. Le chef de gouvernement annonce en effet la couleur et appelle son équipe à se préparer dès cette loi de finances à la prochaine réforme de la fiscalité. Le document va encore plus loin en officialisant l'entame de travaux en vue de cette réforme pour début 2013. «Dans l'optique de la réforme fiscale, il faudrait prendre des mesures permettant de consolider les ressources et de renforcer le rôle des départements fiscaux et douaniers dans leur perception et leur recouvrement», peut-on lire dans la lettre de Benkirane. En d'autres termes, l'Etat espère trouver dès cette année une solution pour gonfler les recettes et limiter l'impact que pourrait avoir la réforme sur ses caisses. En attendant de voir comment devrait se traduire cet appel au renforcement des recettes publiques dans la loi de finances, le patronat, lui, semble être satisfait de l'intérêt que porte le gouvernement à cette réforme fiscale. «Inscrire la réforme de la fiscalité dans le document de cadrage de la loi de finances répond exactement à ce que nous attendions», témoigne, à chaud, Abdelkader Boukhriss, président de la Commission fiscalité à la CGEM, pour qui d'autres aspects de ce cadrage paraissent prometteurs. Le chef de gouvernement n'a pas omis en effet de faire un clin d'œil au secteur privé en insistant, dans l'un des trois axes jugés prioritaires de l'action de son équipe, sur le soutien du secteur privé. Pour Benkirane, il faut dire que l'occasion était trop belle pour être ratée : d'un côté, il donne les prémices d'une réponse favorable à certaines doléances des opérateurs économiques, notamment en termes de soutien à la compétitivité, de financement et même d'accès aux marchés. D'un autre côté, il répond à la persistante polémique autour de l'emploi. Il est en effet clair que tant que l'Etat tente de réduire ses charges de fonctionnement, les postes budgétaires à ouvrir resteront limités. D'ailleurs, Benkirane appelle clairement les départements ministériels à minimiser les postes budgétaires à prévoir pour cette loi de finances. Du coup, c'est le privé qui est censé prendre la relève. Pour assurer la réussite du mécanisme, Benkirane appelle aujourd'hui son gouvernement à «améliorer le climat des affaires, renforcer les structures d'accueil et s'atteler plus particulièrement à la compétitivité des PME». Parallèlement, les efforts d'investissement devraient être réorientés vers des projets intégrés à forte création d'emploi, tout en veillant sur l'amélioration de la qualification des jeunes et l'encouragement de l'auto-entrepreneuriat. C'est dire toute l'ambition qui se dégage des premiers prémices du projet de loi de finances 2013. Il reste maintenant à savoir comment l'Exécutif parviendrait à traduire sa volonté au niveau du budget. En attendant, on sait déjà que les différents ministères auront jusqu'au six septembre pour communiquer à la primature leurs propositions, tout en veillant au strict respect des règles. Il s'agit notamment de veiller à ce que la répartition des budgets d'investissements se fasse selon une approche planifiée et que l'exécution des projets soit conforme aux engagements pris dans le cadre de la loi de finances 2012. De même, les nouveaux crédits demandés devront être basés sur une logique de maîtrise efficace et efficiente à la fois au niveau de leurs dépenses et de leurs délais d'exécution. Concernant les charges de fonctionnement, il sera question de remplacer l'achat de véhicules par le recours à la location longue durée, ou encore de la réduction des dépenses liées aux réceptions et à l'hôtellerie, ainsi que celles relatives aux études Nizar Baraka, Ministre de l'Economie et des finances. «L'emploi et la compétitivité sont nos priorités» Les Echos quotidien : Comment expliquer l'absence cette année d'hypothèses chiffrées dans la lettre de cadrage ? Nizar Baraka : C'est un choix délibéré. Le contexte actuel est marqué par beaucoup d'incertitudes au niveau international. C'est le cas par exemple des cours des matières premières qui sont volatils ou même des taux de croissance à prévoir... Nous avons donc préféré retarder la fixation des hypothèses chiffrées, en attendant de disposer de prévisions plus récentes des organismes internationaux et qui serviront de base de calcul. Dans son contenu, le cadrage de la loi de finances semble accorder beaucoup d'importance à la maîtrise des dépenses... Dans le fond, il y a deux axes majeurs qui sont placés par le gouvernement comme priorité et ce, conformément aux engagements pris dans le cadre de la déclaration gouvernementale : c'est l'emploi et la compétitivité. Pour les deux volets, il s'agit d'abord de redonner confiance à l'investissement. Cela doit donc avant tout passer par un rééquilibrage du cadre macro économique qui inclut évidemment les finances publiques. C'est ce qui explique que l'accent a été mis sur l'optimisation des dépenses de fonctionnement et la réorientation des dépenses d'investissement vers des chantiers plus stratégiques comme l'infrastructure... en ciblant entre autres, la rentabilité des efforts d'investissement. Quid du soutien à l'industrie ? L'expérience a démontré que les pays qui réussissent le plus dans le contexte actuel sont ceux qui ont su se doter d'une industrie compétitive. Or, nous disposons déjà de politiques industrielles qu'il faudra désormais accélérer. Il s'agira donc de travailler sur la base des stratégies incluses dans le plan émergence, mais aussi de développer de nouveaux contrats-programmes qui permettraient d'insuffler plus de compétitivité à l'industrie nationale. Des réformes stratégiques comme la retraite, la compensation... sont incluses dans la lettre de cadrage. Peut-on réellement s'attendre à leur concrétisation dès cette année ? Il s'agit pour nous principalement de montrer la volonté du gouvernement à réaliser les réformes attendues de la justice, de l'éducation, de la compensation et autres. Nous ne pouvons pas dire qu'il y aura des mesures concrètes et précises concernant ces réformes dans la loi de finances. Cependant, l'objectif sera de faire en sorte que l'élaboration de cette loi de finances, soit l'occasion de tracer la feuille de route pour les concrétiser et ainsi marquer l'entame de ces grands chantiers. Retraite, justice, compensation... c'est parti! Ambitieuse, la lettre de cadrage de la prochaine loi de finances le paraît aussi parce qu'elle insiste sur la nécessité d'activer l'ensemble des grandes réformes sur lesquelles est attendu le gouvernement. C'est notamment le cas de la réforme de la justice que Benkirane cite «en tête des chantiers à réformer». Il en est de même pour la relance du projet de régionalisation avancée et de la réforme de la loi organique des finances ou encore de la réforme de la retraite. Ceci étant, ce que l'on retiendra surtout, c'est qu'au niveau de la réforme de la compensation, Benkirane confirme l'approche progressive promise auparavant par son ministre des Affaires générales, Najib Boulif, en annonçant la poursuite de la révision des prix des produits subventionnés ainsi que les circuits de distribution. C'est donc un niet catégorique envoyé à ceux qui s'attendaient toujours à une profonde refonte du système, à partir de la fin de l'année en cours. En parallèle, le gouvernement devrait travailler sur la stratégie permettant d'assurer le ciblage des populations défavorisées et l'activation de mesures de prévention contre la volatilité des prix.