Mouna Hachim, Ecrivaine Vous êtes de formation littéraire, mais vous êtes une grande passionnée d'histoire. D'où vous vient cette passion ? Mouna Hachim : Peut-être parce que l'histoire est en mesure de nous plonger dans des événements parfois plus palpitants, plus passionnants, plus chargés d'enseignements, que les plus imaginatives des fictions. Depuis toute jeune, j'aimais écouter les histoires des temps passés sous forme de récits que recèle notre patrimoine oral principalement par le biais de mes grands-mères. Je me rends compte avec du recul que je lisais beaucoup de romans historiques et que même mes choix de sujets de recherche en littérature étaient liés à une certaine dimension de l'histoire. C'est ainsi que mon sujet de mémoire portait sur la représentation du musulman au moyen-âge dans la Chanson de Roland alors que mon projet de thèse en littérature comparée s'intéressait à la courtoisie française et à la courtoisie andalouse au moyen-âge avec forcément un intérêt pour l'histoire des deux rives de la Méditerranée. Quelle méthodologie adoptez-vous pour vos travaux, que ce soit pour votre dictionnaire qui en est à sa deuxième édition, ou pour votre roman «Les Enfants de la Chaouia» ? C'est le réel qui me fascine qu'il soit d'ordre actuel ou historique. Partant de ce fait, j'ai besoin de me documenter, de collecter des matériaux «concrets». Pour le roman qui est une fresque sociale racontant une saga familiale sur un siècle, il était primordial non seulement d'en savoir plus sur l'histoire de la région traitée qui est la Chaouia et son cœur urbain, Casablanca mais aussi d'interroger de vieux paysans, de vieux Casablancais, des anciens résistants... Ce qui n'exclut évidement pas la part de l'imaginaire qui fait la caractéristique d'un travail romanesque. Pour le dictionnaire, la documentation est évidemment plus marquée car nulle place pour l'imagination. La documentation bibliographique tient une part très importante et englobe à la fois des sources modernes en arabe et en français, des ouvrages classiques marocains dont des monographies de régions, des livres généalogiques, des koutoub tarajim de nature biographique, etc.... Sans oublier la part de la légende qui vient ajouter son grain de sel et qui relève souvent de la tradition orale collectée auprès des familles. Votre travail d'investigation historique tient justement compte du côté «légendaire» du Maroc. Pourquoi ? La légende constitue une part essentiele de notre mémoire. À travers une légende a priori ordinaire, un ensemble de valeurs et de repères est véhiculé, livrant des modes de penser, libérant la parole puisque à travers elle, des messages multiples sont véhiculés, apportant ainsi un autre éclairage au-delà de l'aspect scientifique et rigoureux de l'histoire... Est-ce que vous vous sentez plus à l'aise avec le roman ou avec le travail de recherche ? Chacun apporte ses satisfactions. Je ne me force pas. Ça vient naturellement à des moments précis de ma vie, dans une certaine logique. Cette deuxième édition du dictionnaire est plus étoffée. Allez-vous poursuivre vos recherches pour un troisième tome ? Cette recherche a été passionnante mais longue et ardue. Je me sens justement le besoin de décrocher, de marquer une pause par un travail d'une autre nature, en restant toujours dans mon dada... Quels sont vos prochains projets ? Ça se bouscule, mais honnêtement, je n'ai pas une idée précise. Je prends actuellement le temps de me reposer et de me ressourcer en me demandant moi-même quels pourraient être mes projets sans savoir avec exactitude. Quelles sont vos autres sources d'inspiration en dehors de l'histoire du Maroc ? Tout ce qui a trait au patrimoine de manière générale mais je suis paradoxalement très portée sur l'actualité nationale et internationale. Tout est lié dans ma démarche qui refuse toute vision passéiste et se place plutôt dans une vision d'avenir avec des interrogations sur ce monde et les moyens de relever les défis dont ceux liés à la mondialisation. Durant votre parcours, vous vous êtes beaucoup attardée sur l'Europe médiévale et ses relations avec le monde musulman, dont le Maroc). Y aura-t-il des travaux en ce sens ? C'est une période fascinante d'échanges, malgré les guerres et les rivalités... sur le plan culturel, économique, humain... Prenons un seul registre comme la poésie lyrique (zejel et mouachah) inséparable de la musique qui l'accompagne, transmise de génération en génération et qui a traversé les frontières s'imposant comme un trait d'union entre l'Orient et l'Occident, entre les musulmans, les juifs et les chrétiens... Une source d'inspiration, certainement dans ce contexte de tous les clivages. Que pensez-vous du paysage littéraire marocain ? Je pense qu'il a besoin plus que jamais d'une valorisation, mais la situation est ce qu'elle est entre contexte socioculturel marqué par l'analphabétisme et le manque d'intérêt pour la lecture, le non moindre désintérêt des politiques, l'insécurité qui guette l'écrivain... Ceci dit, des plumes s'imposent contre vents et marées car il est dit qu'être écrivain, «ce n'est pas un métier mais une vocation».