Le Parlement ne peut toujours pas contrôler une dépense publique sans passer par la Cour des comptes, dont les rapports nécessitent de longs mois d'élaboration. La Chambre basse gagnerait à explorer toutes les pistes pour mieux gérer le rythme du contrôle parlementaire des finances publiques. La problématique du suivi des recommandations se pose avec insistance. Le contrôle parlementaire des finances publiques reste tributaire de la Cour des comptes. Depuis sa création en avril 2014, la neuvième commission permanente du contrôle des finances publiques à la Chambre des représentants a, certes, pu passer au crible plusieurs rapports de la Cour des comptes et jeter la lumière sur nombre de dysfonctionnements dans la gestion de la finance publique mais son travail reste limité en dépit des efforts déployés. Le champ de son action est resté en effet figé depuis six ans. La commission se heurte, en premier lieu, à une problématique de taille soulevée par son président, Idriss Adoui Skalli : «le temps du Parlement n'est pas celui de la Cour des comptes». Il faut dire que l'élaboration des rapports commandés par le Parlement nécessite plusieurs mois d'investigations et d'analyse. Il faut au minimum entre six et sept mois, selon Adoui Skalli. À titre d'exemple, il a fallu 22 mois pour l'élaboration du rapport sur le programme «villes sans bidonvilles» qui a été présenté, il y a une semaine, en commission par le premier président de la Cour des comptes, Driss Jettou qui sera suivi par l'interpellation des ministères concernés par ce dossier (l'Intérieur et l'Habitat). Le rapport du fonds de solidarité sociale a nécessité 33 mois de réalisation. Les députés espèrent aujourd'hui une accélération du rythme d'élaboration des rapports qui restent encore dans le programme annuel de la commission (l'ANAPEC, l'INDH et l'Entraide nationale). De nouvelles pistes s'imposent Pour ne pas impacter le rythme d'action de la commission, dont l'agenda législatif ne comprend que les textes relatifs à la finance publique dont les projets de loi de règlement, les députés se penchent sur l'examen des rapports thématiques de la Cour des comptes déjà réalisés. La Chambre basse gagnerait à explorer toutes les pistes pour mieux gérer le rythme du contrôle parlementaire des finances publiques. D'ailleurs, même la programmation des séances plénières pour la discussion et l'adoption des rapports élaborés par la commission accuse souvent un retard abyssal. C'est le cas du rapport sur la CDG dont la présentation est attendue depuis des mois en plénière. La responsabilité de ce retard est partagée entre la Chambre des représentants et le gouvernement qui doit être présent au Parlement, selon le président de la commission. L'amélioration du contrôle des finances publiques passe aussi par le renforcement des moyens techniques et humains au sein de la Chambre des représentants à l'instar de ce qui se fait sous d'autres cieux. Actuellement, les mécanismes dont disposent les députés sont on ne peut plus insuffisants et ne leur permettent pas d'opérer un véritable contrôle. La Chambre basse pourrait mieux faire en s'inspirant des expériences internationales. L'expérience anglo-saxonne en matière de contrôle parlementaire des finances publiques date de plus d'un siècle. Le Parlement britannique, à titre d'exemple, dispose d'une entité interne composée d'experts triés sur le volet, ce qui permet d'éditer des rapports hebdomadaires sur l'efficience budgétaire. Au Maroc, le manque de moyens est pointé du doigt par les parlementaires des deux chambres qui plaident pour la nécessité de renforcer l'assistance parlementaire par le recrutement d'experts. L'activation du Centre national de recherches et d'étude parlementaire au sein de la Chambre des représentants pourrait contribuer à résoudre cette problématique. L'amélioration de l'évaluation des politiques publiques et du contrôle des finances publiques doit être inscrite en tête des priorités du dossier de réforme ayant trait à l'action parlementaire. Il ne s'agit pas uniquement de se contenter d'une simple mission de contrôle a posteriori. L'institution parlementaire est appelée à veiller à changer les pratiques pour optimiser l'impact des politiques publiques et rendre les dépenses publiques plus efficaces et mieux adaptées aux priorités nationales. Le changement de l'approche s'impose. Et comme le souligne si bien le CESE dans son rapport sur «l'approche parlementaire du nouveau modèle de développement», la Chambre des représentants exerce en majeure partie un contrôle et une évaluation de l'action du gouvernement basés sur les actions réalisées ou non réalisées par l'Exécutif, comparés aux engagements de ce dernier. Le volet de l'efficacité de cette action et de l'efficience des dépenses publiques ayant été déployé pour la réaliser ne se fait pas par la Chambre des représentants car il nécessite une maîtrise des outils pour évaluer sur le plan économique et sociale les retombées des politiques publiques et mesurer l'efficience du coût engagé par celles-ci. Quid du suivi des recommandations ? Les débats au sein de la commission en présence des responsables de la Cour des comptes et des ministres concernés permettent de mettre le doigt sur les véritables problématiques en matière de gouvernance de la dépense publique mais la plupart des recommandations restent sans suite. Même le premier président de la Cour des comptes, Driss Jettou, a pointé du doigt cette problématique. «Vous vous posez des questions sur l'issue de nos rapports et nous aussi. Nous sommes tous responsables. Vous devez aussi assumer une part de responsabilité en tant que législateurs», a-t-il affirmé aux députés de la commission lors de la présentation du rapport sur le programme «villes sans bidonvilles». Pour sa part, Adoui Skalli souligne que «chacun fait son travail. Les recommandations de la commission sont soumises au gouvernement qui se prononce sur leur issue conformément aux dispositions du règlement intérieur». Idriss Adoui Skalli Président de la Commission du contrôle des finances publiques La commission du contrôle des finances publiques est comme un poisson dans l'eau de la Cour des comptes. C'est ainsi que nous avons conçu le contrôle des finances publiques qui s'avère de la plus haute importance. Il faut dire que la réforme de l'Etat passe avant tout par la réforme des finances publiques et le contrôle et le suivi de la dépense publique pour, entre autres, stopper certains maux comme la rente et la corruption. Ce n'est pas le montant des dépenses qui importe mais plutôt leur efficience. Jihane Gattioui