Le débat relatif à la loi organique sur la langue amazighe reste encore timide au sein de l'instance législative, dans l'attente de la 1ère mouture qui sera proposée par le gouvernement. Les parlementaires veulent trouver un consensus non pas cette fois sur le statut de la langue, mais sur la méthode de généralisation de son usage. Dépasser le cadre des médias publics et des programmes scolaires de l'enseignement est donc le principal objet de la loi projetée, qui tente de refléter les memorandum des partis politiques, présentés lors du débat autour de la réforme constitutionnelle. Les retombées de certaines «nuances» n'ayant pas été discutées auparavant s'avèrent considérables. Le caractère officiel de la langue amazighe renvoie directement à son usage par les services administratifs et judiciaires. Les craintes des tenants de cette approche sont évidemment liées aux difficultés pratiques que provoquerait une telle transposition légale et les fractures que cela pourrait provoquer. La réflexion sur d'autres modes plus poussés de la reconnaissance constitutionnelle de l'amazighité, se heurtera par contre au principal problème posé actuellement, qui concerne le décalage existant entre la langue officielle amazighe et la langue orale pratiquée. Les dernières mises à jour sur ce point ont été apportées avant-hier par Lahcen Daoudi, ministre de l'Enseignement supérieur, au parlement. «Il faudra se mettre d'accord sur la corrélation entre le tifinaghe, enseigné au sein des écoles, et la langue parlée. C'est très important pour que la langue amazighe soit appropriée par tous les Marocains», a-t-il annoncé. Les parlementaires divisés La session de printemps a été marquée par le débat qui a éclaté sous la coupole, révélant la division de la première Chambre sur la question de l'amazighité, même au sein de l'opposition où les vues du RNI ne sont pas partagées par l'USFP. «Il n'est pas question de faire de la surenchère politique sur l'amazighité, qui appartient à tous les Marocains. C'est pour des raisons matérielles et logistiques que le bureau de la Chambre a ajourné l'examen de la question. La langue arabe comme celle amazighe appartient à tous les Marocains», a tranché Abdelali Doumou, député de l'USFP et vice-président de Karim Ghellab, après les échanges musclés caractérisant la session parlementaire entre députés de la colombe et ceux de la lampe. Les députés sont aussi divisés sur l'urgence à accorder à la loi organique sur l'amazighité. Les propositions émanant jusqu'à présent ne laissent pas apparaître une ligne de conduite pour le projet qui devra associer la société civile dans le processus d'élaboration. Ce qui est sûr, c'est que «le règlement intérieur du Parlement est concerné directement par l'étude de l'usage de l'amazighité durant les questions orales et écrites», insiste un député du MP qui préfère que la question soit débattue par «les présidents des groupes parlementaires au sein du bureau et non en plénière, pour ne pas perturber le déroulement du contrôle de la première Chambre sur les ministres». L'impact sur les programmes éducatifs Une seconde loi censée définir les attributions du Conseil national des langues et des cultures marocaines est également dans le pipe, sans pour autant faire l'objet d'un débat passionné. Les rapports entre les deux langues officielles de l'Etat, ainsi que les nouvelles connexions qu'il y a lieu de trouver, feront l'objet de ce deuxième texte, qui reste crucial. La Constitution exige que les deux langues ne renvoient nullement à un référentiel ethnique, mais doivent être instrumentalisées au profit de l'enrichissement des deux langues officielles de l'Etat. Entre temps, plusieurs projets ont pu être mis sur les rails et concernent la promotion de l'apprentissage du tifinaghe. L'étape de la mise en application des nouvelles dispositions, destinées à diffuser la deuxième langue officielle de l'Etat passe inéluctablement par l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), qui a préparé une série de projets destinés à rendre plus effective la pénétration de la langue amazighe dans le système éducatif, mais également chez les adultes. La réalisation de projets de recherche contractuelle dans plusieurs domaines, dont l'élaboration des ouvrages de référence en morphosyntaxe. La didactique et la pédagogie de la langue amazighe sont également prévues par le programme d'action de l'Institut, qui entreprend de réaliser des manuels d'écriture en Tifinaghe, en plus de didacticiels destinés aux adultes. Le corps enseignant n'a pas été écarté de la nouvelle série d'outils destinés à la promotion de la langue amazighe, avec un guide dédié aux formateurs lors de leurs périodes de formation au sein des Centres pédagogiques régionaux (CPR), pour la prochaine rentrée scolaire. La nouvelle stratégie menée conjointement entre le département d'El Ouafa et l'IRCAM englobent d'autres aspects relatifs à la réalisation monographique et à l'enquête de terrain, au sein de plusieurs régions. Les ONG montent au Réunis à Tanger il y a trois jours, les mouvements associatifs ayant pour but de défendre la généralisation de l'usage de la langue amazighe à tous les rouages de l'Etat ont recommandé de promulguer un arsenal juridique ayant un «contenu destiné avant tout à l'officialisation de l'amazighe pour consacrer l'acquis que représente l'officialisation de cette langue». C'était un appel au lancement d'un débat sur le contenu de la loi projetée qui implique «une concertation entre l'ensemble des acteurs politiques et de la société civile», ont insisté les ONG, qui tentent d'être plus énergiques durant cette période cruciale de débats autour de cette législation imposée par la Constitution, laquelle doit être soumise à l'avis de la Cour constitutionnelle. Lors de cette rencontre, plusieurs responsables politiques se sont joints au débat dans l'espoir de trouver un terrain commun entre la classe politique et la société civile. C'était le cas pour le ministre de la Jeunesse et des sports, Mohamed Ouzzine, qui s'est exprimé en sa qualité de membre du bureau politique du Mouvement populaire (MP). «L'importance d'une bonne gestion du temps est déterminante», a-t-il noté, «Ce chantier ne concerne pas seulement le gouvernement mais doit être mené selon une approche participative incluant les militants et acteurs de la société civile», a-t-il estimé.