Pensé pour être une alternative au profit de l'entreprise en matière de recrutement, le travail temporaire est en phase aujourd'hui de devenir un véritable handicap pour les entreprises marocaines. Autoroute du Maroc, Delta Holding... les scandales enclenchés ces derniers mois dans plusieurs entreprises publiques ou privées, clientes du travail temporaire, ont en effet remis au goût du jour la problématique de l'intérim. Pourtant, cette activité est encadrée depuis 2004 par le Code du travail. Ceci n'a semble-t-il eu pour effet que de booster cette activité sans pour autant prévenir des problèmes qui peuvent naître du travail temporaire. Ces problèmes, les offices et établissements publics y sont confrontés chaque jour. Pour beaucoup d'entre eux, les intérimaires passent rapidement du statut de travailleurs temporaires à celui de demandeurs d'emplois stables. Le cas d'Autoroute du Maroc (ADM) n'en est que la parfaite illustration. Après quelques mois de travail temporaire, les candidats ont de plus en plus tendance à demander leur intégration définitive dans l'entreprise. C'est ce qui est arrivé à ADM et aux offices, et les établissement publiques sont les plus exposés à cette situation vu que pour beaucoup, c'est l'Etat qui doit créer de l'emploi. Or, dans la loi, offices, entreprises publiques ou toute autre entité ayant recouru à des travailleurs temporaires n'est pas dans l'obligation d'intégrer ces derniers. Et c'est de là que naît principalement la problématique puisque, selon ces textes de loi, après la période déterminée pour l'intérim, le travailleur risque fortement de se retrouver au chômage. Pis encore, selon les mêmes textes, un contrat d'intérim est limité à trois mois renouvelables une fois, ou six mois non renouvelables. Réviser le CDD Cette courte durée est principalement imposée par le fait que l'intérim ne doit être qu'une «situation exceptionnelle» chez les entreprises. Dans la pratique, force est de constater que cette condition n'est pas forcément respectée. De plus, selon la Fédération nationale des entreprises de travail temporaire (FNETT), en limitant la durée du contrat à six mois au maximum, la loi n'encourage pas les entreprises à dispenser des formations complémentaires à ses salariés qui, une fois leur mission achevée, retournent au chômage. C'est du moins ce que font valoir les professionnels de l'intérim. Dans ce contexte, il est difficile de faire de l'intérim une solution aux problèmes de l'employabilité, vu que cette courte durée du contrat ne permet pas aux candidats de s'enquérir d'une expérience probante à mettre en valeur pour trouver des emplois stables. Ceci dit, aujourd'hui la situation est telle, qu'en dépit des problèmes que connaît le secteur, la croissance, elle, est toujours au rendez-vous. Si le Maroc ne dispose toujours pas de statistiques précises sur le sujet, les professionnels eux parlent de quelques 200.000 personnes employées dans l'intérim, permettant ainsi d'absorber une partie des chercheurs d'emploi. Il faut dire que la conjoncture internationale et nationale joue un rôle important dans la croissance du secteur. En effet, le contexte pousse de plus en plus les entreprises à la précaution, ce qui affecte directement les employés. De ce fait, les professionnels de l'intérim parlent d'une réorientation des entreprises vers le travail temporaire, afin de mieux gérer les impacts éventuels de la conjoncture sur leur activité. Ainsi, au lieu de recruter des permanents dans un contexte d'incertitude économique, les entreprises recourent de plus en plus à l'intérim, afin d'éviter des situations de sureffectif quand l'activité n'est pas au top de sa forme. Mieux encore, dans la profession on parle de perspectives prometteuses pour la croissance du secteur, surtout que sur le marché, y compris les offices et organismes publics, souscrivent à la dynamique de l'intérim. La tendance à l'externalisation que vit le marché national est également considéré par les professionnels comme un atout majeur qui plaide en faveur de la poursuite de la dynamique de ce secteur. Néanmoins, il restera à répondre aux problématiques législatives, lesquelles sont avancées aujourd'hui comme un frein majeur auquel doivent faire face les opérateurs du travail temporaire. D'ailleurs, à ce titre, la FNETT s'apprête aujourd'hui à proposer une refonte de la loi actuelle afin d'étendre la durée fixée pour le travail temporaire à celle des contrats à durée déterminée (CDD). L'autre volet sur lequel voudrait se pencher la fédération est celui relatif aux cautions imposées aux sociétés d'intérim. Celles-ci sont tenues, pour rappel, de déposer une garantie conséquente auprès de la CDG. Aujourd'hui, il est question de remplacer cette mesure par l'intégration des cautions bancaires. Cela soulagerait en effet les trésoreries des opérateurs dans la mesure où ceux-ci ne s'acquitteraient plus que des intérêts relatifs à la caution bancaire. Jamal Belahrach, Président de la Fédération nationale des entreprises de travail temporaire (FNETT). «Le problème, c'est le flou juridique» Les Echos quotidien : De plus en plus d'entreprises, à l'image d'Autoroute du Maroc ou de Delta Holding, connaissent ces derniers mois des problèmes avec les travailleurs temporaires auxquels elles ont eu recours. Peut-on de ce fait parler aujourd'hui d'une crise du travail temporaire ? Jamal Belahrach : Il y a une absence de règles qui crée la confusion et le désordre. Il est urgent que les pouvoirs publics prennent ce sujet au sérieux, afin que les entreprises puissent travailler en toute flexibilité, dans la sérénité et que les salariés ne se sentent plus en danger et enfin, que l'Etat puisse ne pas souffrir de la délinquance fiscale et sociale. En un mot, ce n'est pas le travail temporaire qui est en crise mais c'est le flou juridique qui a généré ces événements. Pensez-vous que la durée du travail temporaire prévue dans le Code du travail a besoin d'être revue à la hausse, comme le souhaitent certains opérateurs de ce secteur ? Y a-t-il d'autres aspects de la loi qui mériteraient également d'être revus ? La loi existante n'a fait que reconnaître les agences d'emploi privées comme le lui suggérait la convention 181 du BIT. En tant que membre de l'OIT, le Maroc se devait de ratifier cette convention. En revanche, le gouvernement n'est pas allé jusqu'au bout du sujet. En effet, la durée actuelle ne correspond à aucune logique si ce n'est le dogmatisme des personnes qui ont écrit ces articles en 2004. La logique économique doit prévaloir sur le politique. La loi doit être complétée en fixant les droits et devoirs des parties prenantes, afin de ne pas laisser de flou et des interprétations qui paralysent l'activité et qui développent les conflits. La FNETT que j'ai le plaisir d'animer, va prendre une initiative très importante dans les semaines qui viennent. On parle de plus en plus de concurrence déloyale dans ce secteur. La ressentez-vous réellement et quelles peuvent en être les répercussions sur ce secteur ? Il y a une véritable délinquance sociale et fiscale dans ce secteur qui entraîne de fait la concurrence déloyale. La course est basée sur le prix et non sur la qualité de la prestation et le suivi des intérimaires. Il ne fait pas bon payer ses impôts et déclarer ses salariés, c'est pourquoi, il est urgentissime de règlementer au mieux et de faire en sorte que ce secteur, qui est un outil de flexibilité et de création d'emploi, soit au niveau d'une économie moderne et responsable. La FNETT y travaille modestement mais aujourd'hui, nous attendons clairement un signal fort de l'Etat.