La confusion des genres entre intérim, sous-traitance et prestations de services ne fait que compliquer davantage les difficultés du secteur. Les entreprises publiques sont les premières à faire les frais de la précarité de l'emploi temporaire, puisque les intérimaires demandent à être recrutés de manière permanente. Le modèle économique, sous sa forme actuelle, a atteint ses limites et devrait être remis à plat pour remédier à ses faiblesses et combler ses lacunes. L'ouverture du marché du travail aux entreprises d'emploi temporaire s'inscrit dans le cadre de la flexibilité, considérée comme une nécessité accrue du marché du travail. Voilà, en résumé, la bonne intention à partir de laquelle tout a commencé. On cherchait à créer de l'emploi, améliorer la performance des entreprises, créer de la valeur économique... Mais, un peu plus d'une décennie plus tard, le modèle économique adopté par le Maroc est au bord de la faillite, et ce malgré l'existence d'un cadre réglementaire datant de 2004. En effet, la presse nationale revient quasiment en boucle sur ce qu'on qualifie de «scandales», «affaires» qui défrayent la chronique et... agitent le travail temporaire ou intérimaire. Et comme toujours, ces affaires concernent surtout des entreprises publiques. Comme ce fut le cas par le passé de l'ONE, ou encore plus récemment, celui d'Autoroutes Du Maroc. C'est le cas le plus récent et qui a eu des conséquences directes sur les citoyens en raison des grèves répétitives des «salariés» d'une entreprise prestataire qui assuraient le service de péage sur les autoroutes marocaines. Ils revendiquent leur intégration au sein d'ADM ! De plus, certaines publications laissent entendre que des marchés publics auraient été octroyés sans tenir compte des modalités de rigueur. Bien entendu, le premier réflexe est d'aller à la pêche aux infos, et autant dire que le top management d'ADM n'apprécie plus d'être cité dans des articles en relation avec le travail temporaire. A telle enseigne qu'une demande d'information auprès du top management est restée sans réponse. «Et pour cause, nous explique une source au sein d'ADM, ayant requis l'anonymat, depuis 2006, Autoroutes Du Maroc fait appel à des prestataires de services et non pas à l'intérim. Les premiers contrats d'intérim ont été conclus en 1998 et des appels d'offres ouverts conformes à la réglementation, notamment la législation du travail, ont été lancés par la suite. Et l'une de nos conditions à l'adresse des prestataires était que le salaire horaire soit supérieur au SMIG, etc. Nos contrats ont été qualifiés de prestations de services à partir de 2006 et, depuis cette date, nous ne faisons plus appel ni à la sous-traitance ni à l'intérim, mais à la prestation de services qui commence à se développer dans le monde, mais qui est souvent confondue au Maroc avec l'intérim ou encore la sous-traitance». Ce choix de recourir à des prestataires s'explique par le fait que cela permet aux entreprises de se concentrer sur leur cœur de métier, alors que des sociétés tierces recrutent et forment des profils précis qui vont assurer certaines prestations annexes qui ne relèvent pas forcément de l'activité principale de la société cliente. Comme l'ONDA qui fait appel à un prestataire de services pour le handling. Mais pas seulement, puisque l'article 496 du code du travail marocain dispose que l'utilisateur recourt aux salariés de l'entreprise d'emploi temporaire après consultation des organisations représentatives des salariés dans l'entreprise, en vue d'effectuer des travaux non permanents appelés «tâches» et de manière provisoire. Donc, légalement, il aurait été impossible de faire appel à l'intérim pour un métier qui n'est ni saisonnier ni temporaire, du moins au vu de la loi, que ce soit pour ADM ou toute autre entreprise pour un service qui n'entre pas dans cette catégorie. Et surtout pas quand il s'agit de services qui dépassent la durée légale d'un CDD (Contrat à durée déterminée), à savoir trois mois renouvelables une seule fois ou de six mois non renouvelables. «Aujourd'hui, la situation semble se calmer et pour cause, assure ce cadre de l'ADM, à défaut d'arguments, les grévistes ont été obligés de revenir à la table des négociations et de composer, mais ils rebondiront constamment», prévoit-il. ADM n'est pas la première et ne sera pas la dernière entreprise publique à faire les frais de grèves et manifestations sociales. A.K. se rappelle encore les grèves auxquelles son office a dû faire face. «Le travail d'intérim est loin d'être régi par un cadre réglementaire clair et explicite. C'est un secteur qui n'est pas bien cadré et fait l'objet de dépassements de la loi, notamment en ne respectant pas les durées des contrats ou encore quand la société prestataire ne s'acquitte pas de ses responsabilités sociales. Du coup, c'est l'entreprise publique qui en paye le prix en gérant la détresse sociale des «intérimaires», explique-t-il. «Il n'est nullement question de nier la précarité de l'emploi temporaire au Maroc, mais ce n'est pas en alourdissant une entreprise publique d'une masse salariale supplémentaire qu'on va y mettre un terme. Par ailleurs, il y a un certain nombre d'acteurs qui jouent sur ces ambiguïtés, notamment les syndicats pour notamment élargir leurs bases», déplore-t-il. «Chacun est en train de protéger sa chapelle et par là le discours est rendu confus. Quand vous écoutez les arguments des entreprises d'intérim qui disent que la période d'intérim doit être prolongée d'une à deux années, ça ne sert qu'à maintenir la précarité au lieu de développer la prestation de services en recrutant de manière permanente des profils donnés qui seront mis à la disposition des entreprises clientes !», peste-t-il. Du côté des sociétés d'intérim, on défend l'idée de revoir la durée des contrats, jugée courte, même pour le caractère provisoire de la tâche à réaliser. Elles déplorent également la concurrence déloyale d'autres sociétés de travail temporaire qui jouent sur les tarifs en sacrifiant les droits de leurs salariés. On pointe du doigt le faible contrôle dans un secteur qui emploierait plus de 200.000 personnes, selon les dernières estimations. Le ministère de tutelle se dit ouvert au dialogue et réunit régulièrement la commission tripartite qui a pour rôle d'assurer le suivi de la bonne application des dispositions relatives au travail temporaire. Pourquoi, dès lors, ne pas soulever ce genre de problèmes et appeler à une clarification des genres entre ce qu'est l'intérim, la sous-traitance ou la prestation de services ? D'ailleurs, à l'issue de la dernière réunion datant du 30 mai 2012, et suite à ses recommandations, une sous-commission tripartite permanente a été chargée d'assurer le suivi et la mise en œuvre des recommandations adoptées. Tant de questions soulevées et tant de problèmes mettent en péril le modèle économique du travail temporaire au Maroc. Paradoxalement, c'est une activité en pleine croissance, ce qui nécessite des solutions d'urgence avant que le secteur n'échappe à tout contrôle et plonge dans la précarité des centaines de milliers de travailleurs. Dossier réalisé par I. Bouhrara