La stratégie de désengagement de SNI de ses filiales matures avance à pas sûrs. Après la cession de Lesieur, le nouvel épisode confirmé via un communiqué publié mercredi soir, concerne la Centrale Laitière (CLT). Un accord de principe a, en effet, été conclu avec le géant français Danone pour la reprise de 37,8% du capital de CLT. Ce qui porte la participation du nouveau actionnaire de référence à 67%, vu qu'il détenait déjà 29,22% des parts et ceci depuis 2001. En attendant le closing de cette opération d'envergure, qui porte sur un montant dépassant les 6 MMDH, et qui ne devrait pas faire l'économie de l'approbation du chef de gouvernement et surtout du Conseil de la concurrence, nous sommes tentés de nous poser des questions sur les motivations d'une telle opération. Celles-ci peuvent paraître évidentes de la part de SNI qui, depuis sa fusion avec l'ONA, avait clairement affiché sa volonté de muer d'un groupe industriel multimétiers à un holding de participation sans contrôle opérationnel. Cela passe donc par un désengagement de ses filiales matures comme cela a été exprimé par le top management du holding. Aussi, le suspens ne tenait qu'à l'ordre qu'allait prendre ce désengagement. La liste, certes non exhaustive, comprenait initialement Cosumar, Attijariwafa bank, Marjane, Lesieur ou encore la Centrale Laitière. Une prime conséquente Le sort des deux dernières est désormais scellé en attendant que les autres suivent. Pour CLT, les choses semblent donc couler de source pour SNI puisque la cession a été conclue avec un actionnaire historique et surtout stratégique. En plus, le moins que l'on puisse dire c'est que le top management de SNI a bien réussi son coup puisque la plus value réalisée, et très significative vu l'opération, a été sanctionnée d'une prime de plus de 34%. Toutefois, du côté de Danone les motivations semblent beaucoup moins évidentes. En effet, le géant français a récemment publié, pour la première fois de son histoire, un profit warning. Ce qui renseigne clairement sur les difficultés financières que traverse ce groupe dans le giron des difficultés que connaît la filière laitière au niveau mondial. Aussi, comment Danone peut-il se permettre d'opérer une acquisition, c'est le cas de le dire, en période de vaches maigres ? La réponse est en fait multiple. D'abord, les 550.000 euros qui seront déboursés pour l'acquisition des nouvelles parts dans CLT ne sont en rien comparables avec la force de frappe d'un groupe qui pour rappel a investi plus de 885 millions d'euros en 2011. Plus encore, la facture CLT ne sera pas payée immédiatement car il faudra attendre le closing qui n'aura probablement lieu que d'ici la fin de l'année, et puis surtout, cela dénote l'orientation stratégique du groupe qui mise de plus en plus sur les pays émergents. Ces derniers trustent d'ailleurs 83% de la croissance du groupe Danone. Cheval de Troie Vue sous cet angle, la reprise de CLT prend une toute autre teneur pour Danone, qui s'est d'ailleurs porté candidat à cette reprise dès que SNI avait annoncé sa réorientation stratégique en 2010. Toutefois, si l'on creuse un peu plus, on se rend très vite compte que cette opération peut représenter encore plus pour le géant français. Un retour en arrière nous permet, en effet, de remettre dans une nouvelle perspective les déclarations du directeur général de Centrale Laitière, Driss Bencheikh, concernant une prospection en cours pour la reprise d'une filiale en Afrique. Ainsi, la reprise de CLT par Danone peut être un bon moyen pour ce dernier de lorgner le marché africain, l'un des derniers gisements de croissance au niveau mondial. Cela semble d'autant plus plausible que le procédé a été éprouvé avec succès dans d'autres secteurs et par d'autres opérateurs français. Cela a été le cas notamment de Vivendi qui peut désormais se targuer d'une forte présence sur le continent via sa filiale marocaine Maroc Telecom. La stratégie du cheval de Troie marocain en Afrique est de plus en plus privilégiée par les opérateurs européens et notamment français. Cette dernière a l'avantage de profiter de la proximité culturelle et des nouveaux réseaux marocains en Afrique, instaurés depuis l'installation des banques marocaines dans de nombreux pays subsahariens. L'amont en commun Aussi, le scénario est donc plus que probable dans le cas de Danone et Centrale Laitière puisque les deux spécialistes laitiers sont depuis belle lurette sur la même longueur d'onde au niveau opérationnel. Il faut rappeler dans ce sens que Danone est le principal partenaire technologique de CLT depuis des années. Ils partagent aussi la même option stratégique basée sur la sécurisation de l'accès aux matières premières. C'est dans ce sens que CLT s'était naturellement inscrite dans le giron du contrat-programme de la filière laitière, signé en avril 2010. Pour sa part Danone agrège près de 300.000 éleveurs dans le monde qui produisent plus de 8 milliards de litres de lait par an. L'enjeu de l'approvisionnement est donc partagé entre CLT et sa désormais maison mère, ce qui devrait induire le maintien de la stratégie en cours. In fine, tout porte à croire que cette opération a tous les traits de noces de raison entre Danone et Centrale Laitière qui, il y a plus d'un demi-siècle, était déjà sa franchise... Le verdict de Benamour C'est désormais un secret de polichinelle, la Bourse de Casablanca vit l'un de ses moments les plus critiques de ces dernières années. Or, le désengagement de SNI de ses filiales matures peut représenter une vraie bouffée d'oxygène pour une place en mal de papiers frais. En effet, les deux opérations conclues jusqu'à présent ont pour point commun non seulement de faire entrer des opérateurs français en tant qu'actionnaires de référence mais aussi de finaliser le désengagement total de SNI via une sortie en Bourse. Le schéma prévu est celui d'une offre publique d'achat obligatoire et ensuite d'une offre publique de vente. In fine, pour le cas de CLT, c'est 33% du capital qui sera cédé aux épargnants boursiers. De quoi améliorer la liquidité de Centrale laitière et surtout redonner des couleurs à la place casablancaise, surtout que cela devrait être cumulé avec le flottant de Lesieur, en attendant les autres filiales de SNI à céder. Le verdict de Benamour Si un accord a bien été conclu entre Danone et SNI pour la reprise de Centrale Laitière, il faudra attendre l'aval du chef de gouvernement et surtout celui du Conseil de la concurrence pour finaliser l'opération. C'est la procédure légale qui a d'ailleurs eu cours dans la précédente cession de SNI (Lesieur). Toutefois, les choses se présentent quelque peu différemment cette fois. En effet, Centrale Laitière détient plus de 60% des parts de marché dans le royaume. Or, il serait pour le moins difficile au Conseil de la concurrence d'accorder, sans sourciller, une telle position à un opérateur étranger. D'autant que les autres opérateurs du secteur risquent de très vite monter au créneau pour contester la future hégémonie de Danone. Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence, mettra-t-il son véto à cette opération dans sa configuration actuelle ? Rien n'est moins sûr, même s'il faudra sans doute chercher un compromis avec les autres opérateurs. Certes, ce n'était pas vraiment le cas dans l'opération de cession de Lesieur au profit de Sofiprotéol, là encore un opérateur français, mais il ne faut pas oublier dans ce cas de figure l'opérateur cédé ne jouissait pas d'autant de parts de marché.