«Nous continuons à financer l'économie, comme il se doit, car celle-ci a besoin, plus que jamais, du soutien du système bancaire. Nous ne voulons pas provoquer un effet procyclique qui risquerait d'être trop lourd pour l'économie dans le contexte actuel». C'est là une déclaration du top management d'une grande banque de la place, faite en avril dernier et qui prenait l'air d'un engagement du système bancaire envers les entreprises marocaines. Aujourd'hui, il n'y pas pas grand chose de changé dans le quotidien des entreprises marocaines et les PME, notamment, baignent toujours dans leurs problèmes. Or, ce qu'il est important de souligner c'est que cette difficulté d'accès au financement bancaire n'est pas une particularité marocaine. Dans l'un de ses récents rapports, l'OCDE exprimait en effet ce constat selon lequel les PME, à travers plusieurs pays du monde, souffrent des mêmes maux. Au Maroc et selon les statistiques de la Banque centrale, les banques marocaines continuent, certes, à assouvir une partie des besoins des PME, mais ce sont principalement des besoins en trésorerie, au détriment du financement des investissements. À fin mars dernier, 'encours des crédits de trésorerie affiche en effet une hausse annuelle de 16,1% à fin mars dernier, contre seulement 2,3% pour les crédits à l'équipement. Pis encore, si les banques ont maintenu le robinet ouvert pour alimenter les trésoreries des entreprises, elles facturent néanmoins le service plus cher. Durant le premier trimestre 2012, le taux moyen des crédits de trésoreries s'est établi à 6,56% contre 6,22% seulement, à la même période de l'année écoulée. Il en est de même pour le peu de crédits à l'équipement (ou d'investissement) qui ont été distribués. Leur taux moyen est passé de 6,08 à 6,16%. Bien évidement, ce ne sont là que des moyennes pondérées et dans plusieurs des cas, ces taux peuvent en réalité s'établir à des niveaux bien plus élevés. Cette situation ne manque pas de prendre en otage toute l'économie. «Plusieurs PME se retrouvent aujourd'hui dans l'obligation de mettre la clé sous la porte. Des porteurs de projets intéressés par la création d'entreprise préfèrent eux, temporiser et reléguer leur investissement ultérieurement. Tout ceci en raison des difficultés de financement qu'éprouvent les PME», confie Hemmad Kessal, économiste et ancien président de la commission des PME au sein de la CGEM. Pourtant, en même temps, les banques marocaines multiplient les campagnes de communication pour les produits spécialement dédiés à la PME ; Package, financement, facilités... les produits ne manquent pas... comment expliquer alors que le financement des PME fléchisse, alors que cette catégorie d'entreprises fait partie des cibles prioritaires du système bancaire ? Pour un gestionnaire dans un centre d'affaires à Casablanca, «aucune restriction n'est faite pour les PME, si ce n'est que les banques sont devenues plus regardantes sur les risques». En d'autres termes, plus que le problème de sous-liquidité du système bancaire, c'est principalement le profil des entreprises qui pousse les banques à être plus réticentes aux financements des PME. L'évolution récente des créances en souffrance dans le secteur bancaire, pourrait expliquer ce revirement. Seul bémol, «les banques ne prennent pas en compte que la gestion des risques qu'engendrent les PME doit être différente de celle des grandes entreprises», confie un patron de PME. Quelles alternatives alors dans ce cas ? Pour plusieurs experts et consultants, la réponse se trouve d'abord dans la gestion de la PME. «Il faut simplement que les entreprises investissent davantage dans leur transparence, pour améliorer leur image vis-à-vis des banques, notamment parce que la configuration des offres de produits bancaires au Maroc, permet aux entreprises de trouver les solutions qu'elles recherchent », confiait aux Echos quotidien, Alain Pilloux, directeur du département de la BERD en charge de l'industrie, du commerce et de l'agro-industrie, en marge d'une récente conférence de la BERD à Casablanca. Dans le milieu bancaire, on affirme également que «le montage des dossiers de financement est également devenu encore plus important que par le passé et les dossiers les mieux ficelés sont ceux qui aboutissent le plus au déblocage du financement». Les organismes internationaux prennent le relais Jamais la mobilisation des bailleurs de fonds internationaux n'aura été aussi importante, en faveur du financement de la PME marocaine. Début mai courant, la Banque mondiale annonçait la mise à disposition d'un prêt de 50 millions de dollars (environ 450 MDH), destiné au développement des micro, petites et moyennes entreprises au Maroc. Ce prêt, qui entre dans le cadre du programme de la BM, dit Facilité régionale des Micro, Petites et moyennes entreprises (MPMEs) pour la Région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, sera utilisé pour allouer des fonds aux produits de garantie gérés par la Caisse centrale de garantie (CCG). Celle-ci garantit les prêts accordés par les établissements de crédit aux entreprises et rembourse une partie des pertes subies par ces établissements en cas de non-remboursement. Quelques semaines auparavant, la Banque Européenne pour le développement (BERD) annonçait son plan, décliné à partir de juillet prochain et visant à soutenir le financement des PME. Ceci devrait passer par la mise à disposition au profit des banques et des organismes de créditbail de prêts, qu'ils pourront affecter à l'accompagnement des PME. Hammad Kassal, économiste et patron de PME : «La PME est une affaire de l'Etat» Les Echos quotidien : Comment expliquer la problématique de financement que vivent aujourd'hui les PME ? Hemmad Kessal : Le problème découle de deux facteurs. Le premier est évidement le contexte de sous-liquidités que vivent les banques. Celui-ci s'amplifie avec le recours massif des grandes entreprises et du Trésor public à la dette et qui crée un effet d'éviction pour la PME. Le deuxième facteur est la cherté des crédits. Pour se financer, les PME doivent subir des taux d'intérêts extrêmement hauts, ce qui rend encore plus difficile l'accès au crédit bancaire. Les banques communiquent de manière toujours aussi agressive sur des offres spécialement dédiées aux PME... Il faut savoir qu'il y a un grand décalage entre le discours officiel et la réalité à laquelle a droit un patron de PME dans une agence bancaire. Les conditions d'octroi des crédits au PME sont devenus des plus strictes, avec notamment la demande de garanties trop importantes pour de petites entreprises. Quelle alternative alors pour contrer cette situation ? La balle est clairement dans le camp des banques et de l'Etat. Pour les premières, il faut réouvrir le robinet. Si, sur un financement de 1.000 PME, 2 ou 3 s'avèrent défaillantes, c'est mieux que de financer un seul grand groupe et quand il est défaillant, c'est toute la banque qui se retrouve en difficulté. Pour ce qui est de l'Etat, il faut instaurer des mécanismes encourageant les banques à financer davantage l'investissement chez les PME. On pourrait concevoir, par exemple, un mécanisme de réduction de l'IS appliqué aux banques de manière à ce que l'économie d'impôt générée serve de liquidité à injecter pour le financement des PME. La PME est clairement une affaire de l'Etat et sans des mesures de soutien concrètes, on hypothèque la viabilité de ces entreprises, l'attractivité de la création d'entreprise et la création de davantage d'emplois. On parle aussi du recours à des fonds d'investissement comme solution... Ce qu'il faut savoir, c'est que la PME reste fortement dépendante du système bancaire. Quand on fait appel à un fonds d'investissement, il s'avère que ce dernier demande des conditions encore plus draconiennes que celles des banques. De plus, au Maroc, les fonds d'amorçage, qui peuvent être utiles dans ce contexte, n'existent pas beaucoup. Le même constat est à relever pour le soutien de la Caisse centrale de garantie qui, au lieu de garantir, demande des garanties à l'entreprise, tout aussi importantes que celles demandées par les banques. Certes, dans certains cas, la PME a recours au factoring comme moyen de financer sa trésorerie. L'alternative au système bancaire n'est pas facile à trouver. Quelle peut donc être la solution concrète à ces problèmes de financement ? Il faut d'abord changer le statut de l'ANPME en «Small Business Administration », qui relève directement du chef de gouvernement. Elle pourrait intervenir au financement de la PME à travers un fonds. Les agences de développement régionales doivent également jouer leur rôle en encourageant la PME. Enfin, brandir le décret d'application de la loi sur les délais de paiements, serait également un soulagement pour la PME. Pour ce qui est des intérêts de retard de paiement inclus dans la loi, force est de constater qu'avec le rapport de force existant entre la PME et les grandes entreprises, ou même l'Etat, il est difficile de l'appliquer.