Il aura fallu attendre deux gouvernements conservateurs, l'un marocain, l'autre espagnol, pour que la réunion mixte de haut niveau entre le Maroc et l'Espagne ait lieu. Le 12 septembre prochain, après presque quatre ans de sa mise en veilleuse, la 10e réunion mixte maroco-espagnole aura lieu à Rabat. C'est ce qui a été décidé d'un commun accord par le chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane et son homologue espagnol Mariano Rajoy, lors du déplacement du chef de gouvernement marocain à Madrid, vendredi dernier. Les deux hommes ont eu le mérite de ressusciter une tradition qui remonte à 1993, date de la tenue de la première réunion. Rappelons que la dernière en date a été tenue à Madrid en 2008, sous la présidence de Abbas El Fassi et Zapatero. Il faut reconnaître que Benkirane et Rajoy n'ont pas perdu de temps. À peine quelques mois après leur investiture, ils ont tenu la promesse faite par ce dernier lors de son déplacement à Rabat en février dernier. Durant cette visite éclair, le président du gouvernement espagnol s'était engagé à arrêter, au plus vite, une date pour la tenue de ce rendez-vous tant attendu par les milieux d'affaires espagnols. De fait, Rajoy a su insuffler un nouvel élan aux relations maroco-espagnoles. Si les craintes d'un retour à l'ère sombre de l'ex-chef de file PP, José Maria Aznar, ont plané sur partenariat à l'annonce du nom du nouveau locataire du palais de la Moncloa, cette défiance s'est dissipée peu à peu, cédant la place à un retour progressif d'un climat de confiance. À y regarder de plus près, le gouvernement espagnol a compris qu'il ne pouvait ajouter à une crise économique prédatrice une autre, de nature diplomatique. L'Espagne n'a plus cette santé économique insolente qui lui permettait de bomber le torse et a, somme toute, besoin de nouveaux alliés. C'est d'autant plus vraie que l'Espagne commence à perdre du terrain dans ce qu'elle croyait jadis être ses fiefs économiques, à savoir l'Amérique latine. Si, dans le passé, sa présence n'était nullement contestée, à l'heure actuelle, l'étau se resserre autour d'elle dans cette région, devenue le cauchemar des investisseurs étrangers. Le voisin ibérique commence à perdre ses privilèges historiques dans les pays latino-américains, où ses intérêts sont de plus en plus en péril. Les derniers «putschs économiques» à l'encontre de ses entreprises, à travers l'expropriation, par l'Argentine, d'une filiale du groupe pétrolier Repsol et la nationalisation de la filiale de Red Electrica par la Bolivie, font que la péninsule sera de plus en plus tournée vers des marchés déclassés auparavant, comme le marché africain. De ce fait, la gravité de la crise impose un autre registre dans les relations avec les voisins. Et de l'aveu même des responsables ibériques, le Maroc dispose de tous les atouts pour permettre à l'Espagne d'asseoir davantage sa présence économique dans la région. Côté marocain, Benkirane a tendu la main aux Espagnols, en déclarant qu'au Maroc, l'Espagne pouvait profiter de nombreuses opportunités d'investissement. Tout cela augure d'un renforcement de la marque Espagne sur le territoire marocain. Cette conquête est déjà entamée, comme l'attestent d'ailleurs les multiples missions économiques et forums où les atouts du Royaume sont mis en exergue, sans oublier le bal des visites officielles des présidents de régions autonomes, comme les dernières effectuées par les présidents de Catalogne et des Îles Canaries. Les entrepreneurs ibériques n'hésitent pas à appeler en renfort les têtes couronnées de leur pays ainsi que les hauts responsables politiques pour baliser le terrain de la diplomatie économique. Dans cette même lignée, le prince héritier d'Espagne, devrait participer à une rencontre entrepreneuriale au Maroc, avant la date de la réunion en septembre. Accords et désaccords Au sujet des accords, la pêche est le dossier qui reflète le plus cette volonté de surmonter les divergences, au grand bonheur de l'Espagne, qui se démène afin que l'accord soit conclu dans les meilleurs délais. Le ministre de tutelle, Arias Cañete a même plaidé pour une application provisoire du pacte. Il reste le polémique accord agricole, mais tout porte à croire que le lobby espagnol, réfractaire au traité, semble avoir digéré la pilule. Cela ne l'empêchera pas de monter épisodiquement au créneau, mais comme le veut l'implicite transaction «poisson contre tomate», l'Espagne a montré qu'elle était capable de brider le lobby espagnol quand cela s'avérait être nécessaire. Au sujet de l'immigration clandestine et de la sécurité des frontières, les enclaves ne jurent que par la précieuse aide fournie par le Maroc. Rien que la semaine dernière, le délégué de Sebta a porté aux nues cette collaboration, laquelle a pu réduire d'une manière drastique le nombre des candidats à l'immigration clandestine, qui sont de plus en plus nombreux à être interceptés aux frontières. Concernant les sujets de discorde, tels que le dossier du Sahara et les enclaves de Sebta et Mélilia, les deux parties ont instauré un accord tacite où aucune partie n'enfreint les règles de la bienséance diplomatique. En somme, les deux voisins ont mis de côté les dissonances et le couple tumultueux devient de plus en plus rationnel, à l'abri des relations, rythmées de crises à répétition. Et comme l'a bien résumé le chef de gouvernement lors de la conférence donnée à Barcelone, un Maroc développé sera bien utile pour l'Espagne. Escale catalane Après la visite institutionnelle à Madrid, place aux rencontres et aux débats. En effet, Benkirane s'est envolé à Barcelone où il a animé une conférence sur les changements démocratiques au Maroc à l'Institut européen de la Méditerranée. Benkirane a profité de sa présence dans la région qui abrite la plus forte communauté marocaine d'Espagne pour se réunir avec les acteurs associatifs marocains de cette autonomie. Cette rencontre tombe à point nommé, étant donné les difficiles circonstances que traversent les MRE, comme d'ailleurs le reste de la population. Dimanche, il s'est entretenu avec le président du gouvernement de la communauté catalane, Artus Mas, sur la coopération bilatérale.