Comme préalable à la mise en œuvre de son véritable programme qui commencera, finalement avec la loi de finances 2013, le cabinet Benkirane aura à adopter une nouvelle loi organique. Cela a été confirmé depuis la prise en fonction de l'équipe surtout qu'il s'agit d'un projet qui a accusé beaucoup de retard. Fort opportunément, le gouvernement n'aura pas trop à faire sur ce volet, puisque la grande partie du chantier a été balisée. D'après l'agenda de l'ancien ministre de l'Economie et des finances, Salaheddine Mezouar, l'adoption de cette loi aurait dû intervenir au plus tard avant fin 2011, pour une mise en œuvre en 2012. Une promesse faite déjà en 2010, mais qui a dû se heurter à la complexité de la procédure et l'année dernière, les évènements politiques sont venus chambouler la donne. Toutefois, en amont, plusieurs mesures ont été adoptées, dans le cadre de la réforme de la gestion publique, entamée au cours de la dernière décennie sous la houlette des institutions internationales, mais aussi pour tenir compte des stratégies sectorielles lancées par le Maroc. Sur la table actuellement, deux textes se superposent. Le premier est celui préparé par les services de la direction du Budget, présenté à la commission des Finances, sous la précédente législature, le 13 septembre 2011. Le montage du texte a bénéficié de l'assistance d'experts de l'Union européenne et s'est basé «sur un benchmarking des meilleures pratiques internationales», selon les explications données par le directeur du Budget, Fouzi Lekjaa. Le deuxième texte est élaboré par la Fondation Abderrahim Bouabid et qui a été, en janvier 2011, décliné sous le titre «Pour un Parlement acteur de la démocratie budgétaire». La spécificité de ce texte, résultat de deux années de travaux, est qu'il a été élaboré conjointement avec les 7 groupes parlementaires de la majorité et de l'opposition et qu'on retrouve aujourd'hui, dans une configuration certes différente. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, il met en avant le principe de la démocratie budgétaire, avec une participation plus accrue du Parlement, comme est venue par la suite le confirmer la nouvelle Constitution. À défaut de savoir pour lequel des projets de réforme optera le gouvernement Benkirane, il va sans dire qu'il dispose au moins de la matière, surtout que la mise en œuvre d'une telle loi requiert des années comme l'explique Khalid Benomar, qui a chapeauté l'élaboration du document au niveau de la fondation Bouabid. Etape cruciale L'étape de l'adoption de la loi organique s'annonce, donc, assez cruciale au vue des multiples enjeux liées à sa mise en œuvre. C'est surtout au niveau du Parlement que se jouera la partie. Pour Ali Bouabid, délégué générale de la Fondation éponyme, «le parlement doit garder à l'esprit qu'il est un partenaire actif de la gestion publique, il ne doit plus se contenter de discuter des textes mais doit réussir à être une force de proposition politique». à la lumière de l'élaboration du projet de réformes menée avec les partis politiques présentés au Parlement, il souligne que ces derniers peuvent se baser «sur cette proposition pour influencer la réforme avec deux exigences majeures : renforcer sa capacité à exercer un contrôle plus pertinent de l'action publique, la performance et la transparence de l'action publique et questionner en permanence le gouvernement sur les orientations de la réforme budgétaire». Au vu du processus long et complexe de l'adoption des lois organiques, Bouabid préconise, effectivement, dès la première loi de finances qui suivra son adoption, «le point de vigilance particulier qui devrait mobiliser l'attention des parlementaires est de s'assurer que le gouvernement donne une visibilité sur l'agenda annuel de mise en œuvre des dispositions de cette loi». Autrement dit, la loi organique doit être impérativement accompagnée d'un calendrier d'exécution, sur la mise en œuvre duquel le gouvernement doit prendre des engagements fermes. Khalid Benomar, Consultant, chef du projet à la Fondation Abderrahim Bouabid. Les Echos quotidien : Vous avez travaillé sur une proposition de réformes de la loi organique des finances avec plusieurs groupes parlementaires. Quelle suite a été donnée à ce projet depuis ? Khalid Benomar : La plateforme de propositions parlementaires vise à alimenter un débat public de fond sur la réforme de la gestion budgétaire et plus généralement de la gestion publique. À l'occasion du dépôt du projet de réforme annoncé par le gouvernement, elle peut donner la matière pour amender le texte et y introduire des mesures de rupture proposées par les parlementaires. Elle peut aussi permettre l'émergence d'une proposition parlementaire complète sur le sujet. C'est donc dire qu'à la veille de la présentation par le gouvernement d'un projet de loi organique des finances, les différents groupes parlementaires ont à leur disposition un document de référence leur permettant de faire valoir une vision claire des attendus et des modalités de cette réforme. Quelle est la pertinence de cette proposition ? Cette proposition concernant la réforme du texte organique s'inscrit doublement dans le cadre de la réforme constitutionnelle. Elle en anticipe même certaines dispositions. D'abord, au niveau des institutions représentatives et de leur participation : la proposition vise à montrer que le Parlement peut intervenir de façon audible sur la réforme de l'Etat et des institutions. Elle montre aussi qu'il ambitionne de mieux contrôler, évaluer et participer à la conception des politiques publiques. Ensuite, les mesures proposées visent elles-mêmes à améliorer la procédure d'élaboration et de gestion du budget, en vue de plus de transparence et de performance des politiques publiques. Elle est une déclinaison fondamentale de l'axe majeur de la révision constitutionnelle, relatif à l'amélioration de la gouvernance publique. Le gouvernement parle d'une réforme autour d'axes stratégiques, tels que la transparence, la gouvernance ou encore la responsabilité, mais sa portée réelle restera à apprécier lors du dépôt du projet. La réforme pourra-t-elle être mise en œuvre à court ou moyen terme ? La réforme au Maroc a été plus ou moins anticipée à travers des actions préparatoires engagées il y a une dizaine d'années, principalement au sein du ministère des Finances. Elles touchent pour l'essentiel à la refonte du système d'information de la dépense publique (GID), de la comptabilité publique, de la nomenclature budgétaire et du contrôle des dépenses. Cependant, compte tenu des carences observées en termes de management dans les différentes administrations publiques et de la complexité du chantier qui révolutionne les approches et les méthodes de travail, cette loi organique ne pourra pas faire l'économie d'une mise en œuvre progressive, sur un horizon de moyen terme. Mise en oeuvre progressive mais déterminée, au sens où la prochaine loi de finances doit déjà porter la marque de cette réforme. Enfin, sur le volet de la régionalisation, de grands bouleversements devraient influer sur le volet budgétaire de l'Etat, ce qui pourrait prolonger la durée de la réforme . Selon votre expérience, comment devrait se traduire la mise en œuvre de cette loi organique ? Le gouvernement, sans pour autant associer les parlementaires aux étapes stratégiques de son élaboration, travaille depuis plusieurs années sur le sujet. Toutefois, à ce jour, aucun projet officiel n'a filtré, même s'il est annoncé pour imminent depuis des mois. Il aurait fallu créer une véritable commission mixte de travail avec le Parlement, avant la présentation du texte.