Ce n'est sûrement pas une découverte, mais les Marocains sont de sacrés paresseux. De vrais tire-au-flanc. Et, en plus, de grands gourmands. Ceci explique probablement cela. À chaque fois qu'ils ont l'occasion de se goinfrer, ils arrêtent tout pour ne se consacrer qu'à ça : se remplir la panse et ne plus penser à rien. D'ailleurs, entre nous, ils ne pensent pas non plus, après avoir bouffé, mais ça, c'est une autre histoire. Je vous raconte tout ça, mais vous avez sûrement deviné que je vais vous parler de l'Aïd et de la longue pause qui l'a suivi, et dont, je ne vous le cache pas, je suis le premier à profiter. Je vais me gêner ! Il faut dire que pour une fois, les Marocains, dont le fumiste moi-même, n'ont pas choisi, délibérément, de ne rien f... faire, mais c'est l'heureux hasard qui fait parfois bien les choses, qui leur a donné l'opportunité de se la couler douce durant cinq jours pleins, durant lesquels ils ont fait le plein de tout et de n'importe quoi. Comme disait l'autre -pour un autre mammifère que je ne saurais citer- tout est bon dans le mouton : de la tête aux pieds, en passant par le gigot, les côtelettes, les épaules, les tripes, le foie et même la rate et les intestins si le cœur vous en dit. Vous pouvez même, si vous voulez, mettre le bêlement en sonnette sur votre portable (cette vanne n'est pas de moi, mais c'est, je crois, la blague du mois). Franchement, je suis admiratif de tous ces gens qui sont capables de se mobiliser, corps et âme, pour un projet exclusivement dédié à la bouffe. Pourtant, je vous avoue que je suis un amateur de bonne chère, mais là, quand je vois mes concitoyens se ruer sur leur agneau aussitôt sacrifié, j'en perds parfois mon appétit. J'ai comme l'impression qu'ils se vengent sur lui, car ils l'ont souvent très cher payé, mais ce n'est quand même pas lui qui a fixé le prix. Ils lui font passer un très mauvais quart d'heure, le pauvre ! En fait, ça dure plusieurs jours, voire, plusieurs mois - merci le congélateur- mais le plus gros du boulot, le plus gras, devrais-je dire, est effectué dans les minutes qui suivent la très courte agonie de la victime. D'ailleurs, fête après fête, j'ai fini par comprendre le vrai sens du «silence des agneaux». Soit bêle soit tais-toi (c'est un peu facile, mais, ce n'est pas le moment de jouer aux exigeants). Blague à part, quand j'imagine que beaucoup prennent des crédits qu'ils remboursent parfois sur une ou deux années, juste pour acheter un mouton et lui faire sa fête en si peu de temps, je pense que ça ne doit être ni rationnel ni rentable, économiquement parlant. Attention ! il ne faut pas mal interpréter mes propos : en plus de ses aspects hautement spirituels, j'ai toujours trouvé cette pratique très conviviale et très sympathique. Mais, il n'empêche que, trop c'est trop ! Et après, on vient se plaindre qu'on a une tension très haute ou qu'on a un taux de cholestérol bien supérieur à celui du commun des mortels. Je crois qu'après tout, le mouton a le droit aussi de se venger comme il peut. Et lui, il prend tout son temps.