Nous venons d'apprendre que nous sommes plus pauvres que nous ne le pensions. Il a suffi de changer le mode de calcul pour que nos 9% d'indigents, dont nous n'étions déjà pas fiers, deviennent 28%. Tout cela à cause d'un malencontreux indice de calcul de la pauvreté lancé le mois dernier par le PNUD et un centre de recherche d'Oxford. Cela signifie-t-il que presque le tiers de nos compatriotes ne mangent pas à leur faim? Pas tout à fait, parce que ce nouvel indice multidimensionnel de la pauvreté (IMP) prend en considération plusieurs indicateurs. Avant, il suffisait de disposer de deux dollars par jour pour sortir du seuil fatidique de la pauvreté. Le nouvel indice présente l'avantage de ne plus lier la pauvreté au seul critère du revenu. L'accès à certains services et biens nécessaires, comme l'éducation, l'électricité et la santé, deviennent des conditions supplémentaires pour ne pas figurer dans cette catégorie. Entre nos 9% d'anciens pauvres et les nouveaux 28%, il y a donc 19% de Marocains qui, bien qu'ils disposent d'un revenu supérieur à ces fameux deux dollars par jour, restent pauvres en éducation, en accès aux services de la santé ou de l'électricité. La misère a plusieurs visages. Pauvreté multiforme Avons-nous vraiment besoin d'un indice pour nous rendre compte de la misère qui nous entoure ? Elle s'affiche ostensiblement dans nos grandes villes, aux croisements des feux, aux abords de nos mosquées et près de nos souks. Une vraie misère devenue un fonds de commerce soigneusement entretenu et mercantilisé. Il y a ceux qui arborent des enfants en bas âge et ceux qui vous montrent une jambe gangrénée pour attirer votre compassion. Il est difficile de croire qu'il s'agit de faux pauvres. Même si certains disposent de suffisamment d'argent pour ne plus être admis dans cette catégorie, ils sont en réalité dans une misère absolue de la dignité. Il faudrait que le nouvel indice tienne compte aussi de ce facteur. Il y a ceux qui veulent se montrer pauvres et il y a les pauvres qui veulent rester fiers. Il suffit de parcourir quelques campagnes pour se rendre compte qu'il y a aussi une extrême pauvreté qui reste digne. Ce n'est certainement pas une raison pour accepter la situation et baisser les bras. Mais il est certain qu'on peut plus facilement lutter contre la pauvreté matérielle que contre la pauvreté de la dignité. Puis, nous sommes riches de cette misère humaine de ceux qui ont perdu tout espoir et qui s'achètent, au prix de leur déchéance et de la souffrance de leurs proches, quelques chimères dans des cafés de turfistes. Il y a aussi ceux qui se jettent dans les méandres de la drogue ou pensent que l'aventure dans le mirage européen vaut bien le risque d'une vie. La pauvreté prend aussi la forme d'une misère intellectuelle de responsables corrompus et d'hommes politiques incompétents qui profitent de leurs postes pour devenir plus riches par la prévarication, semant dans leur environnement la désolation et la déchéance. Voilà bien des indicateurs qui devraient entrer en ligne de compte dans la définition de la pauvreté. Le sens de la richesse On s'acharne sur la pauvreté, alors que la richesse mériterait plus d'être définie. A quoi cela sert-il d'être riche ? C'est dans la réponse à cette question que se trouve la meilleure définition de la richesse. Quand Bill Gates, Warren Buffett et d'autres milliardaires américains ont décidé de réserver une part importante de leur fortune aux œuvres caritatives, ils étaient probablement en train de chercher à embellir l'image discréditée de leur insolente richesse. Mais peu importe l'impact réel de cette mesure et la sincérité de ses promoteurs. Ce geste montre à l'évidence que la fortune peut, ou doit, être au service du plus grand nombre. La production de la richesse est la voie assurée pour le bien être collectif. Aussi, il serait plus juste de ne plus calculer la richesse en fonction de la fortune amassée, mais en fonction de son apport réel pour le bien de la communauté et du pays. La vraie richesse est celle qui rend son environnement plus riche et non l'inverse. La course à la richesse se justifie par cette envie naturelle d'escalader la pyramide de Maslow pour se jucher au plus haut niveau, celui de l'accomplissement. Mais pour y arriver, il faut d'abord réaliser deux autres besoins préalables : l'appartenance à une communauté et puis l'estime de celle-ci. L'accomplissement par la richesse ne devrait pas désavouer ces deux éléments. Le bonheur peut légitimement émaner d'une fortune qu'on exhibe comme une valeur. Ce besoin n'a pas à se justifier, il est en nous en tant qu'êtres sociaux. Il ne devient problématique que quand il devient incohérent avec son environnement. La réussite personnelle ne devrait pas s'accompagner d'une nonchalance vis-à-vis de son milieu. Rouler dans une belle et onéreuse voiture n'est cohérent que si cela se produit dans un environnement qui ne serait pas choqué par tant d'opulence. Voir la même voiture traversant un bidonville a, par contre, quelque chose de choquant. Les riches n'ont pas à cacher leur fortune si elle est bien acquise, mais ils ont le devoir de ne pas accepter que d'autres, si nombreux, restent dans la misère. Ils ne donneront pas ainsi l'impression d'être riches de la misère des autres. J'ai vu un promoteur marocain, essayer de rassurer ses associés étrangers sur les chances de la réussite de leur projet industriel en valorisant la misère d'une main d'œuvre nationale peu chère et corvéable à loisir. Les étrangers, indignés, ont tenu à préciser qu'ils n'étaient pas dans leur intention de profiter de la misère des gens. La réussite d'un projet doit être mesurée, non seulement aux profits réalisés par les «riches» patrons, mais au bien-être que ce projet apporte au pays.