Depuis de nombreux mois, des spots d'éducation civique sont diffusés par la radio et la télévision. Cela va de la lutte contre la mendicité jusqu'au refus de la corruption. L'éducateur distingue le mendiant professionnel du nécessiteux, alors qu'il ne fait pas la différence entre le corrompu ordinaire et celui qui brasse des fortunes. A y regarder de près, on peut constater que, sur le principe il n'y a pas de différence entre la mendicité et la corruption. Les deux constituent un commerce. Un commerce particulier puisqu'il s'agit d'échanger contre de l'argent une marchandise invisible, telle que la définit l'Administration des douanes. Une licence est une marchandise invisible. Le mendiant professionnel et le corrompu font commerce de leur dignité. Cela ne veut pas dire que tous les dignitaires manquent de dignité. Etre bas de plafond ne signifie pas avoir le bras long et faire disparaître une prébende en un tournemain. Pourtant, l'existence du mendiant est nécessaire pour celui qui fouille au fond de sa poche la plus petite pièce pour faire l'acquisition d'une prière. C'est au style de celle-ci qu'on différencie entre l'occasionnel et le professionnel. Celui-ci a des prières adaptées à chaque client, tandis que l'occasionnel a le geste hésitant et bredouille presque. Celui qui mendie sans en avoir l'air est stigmatisé par le public. Ce qui n'est pas le cas du porteur de pain dont on dit que sa pudeur est factice puisqu'on l'accuse de tendre la main en se cachant derrière la porte. Pourtant, ce n'est pas un mendiant, puisqu'il travaille. Comme ce ne sont pas des mendiants, les adolescents qui balayent leur rue et reçoivent une pièce donnée généreusement par les passants. Ces jeunes auraient préféré avoir un travail ou étudier. Mais ils doivent subvenir aux besoins de leurs familles. Manier le balai devient un moyen d'expression. On ne peut pas leur jeter la pierre alors qu'ils en lancent une dans le parc des communes. Peut-être aussi que ces pièces recueillies serviront à s'acheter le moyen de s'évader du quotidien la nuit venue. On a noté que depuis la campagne contre la mendicité, les intéressés ont disparu du centre ville. On doute qu'ils aient pris conscience qu'il y allait de leur dignité. Que sont-ils devenus ? Sans doute ont-ils été refoulés vers un ailleurs qu'on ne connaît pas. Il est évident qu'on ne trouve pas du jour au lendemain un travail et un logement. Ou alors, comme certains indices le laissent paraître, ils ont émigré vers les quartiers populaires. Le mendiant professionnel ne peut être pris de court pour exercer son commerce. Les occasionnels ont eux aussi déserté les rues. Par définition ils ne se livrent à aucun commerce. Ce sont surtout des paysans chassés de leurs lopins de terre par la sécheresse comme ils le sont aujourd'hui par les inondations. Il ne faut pas confondre paysan et péquenot. Ce dernier n'a ni la culture d'un citadin ni celle du paysan. Il est passionné par la culture de l'oseille. Leur maladresse les pousse parfois jusqu'à se mettre au plus près pour chuchoter à l'oreille du passant. On les reconnaît à leurs visages tannés par les intempéries. Turbans pour les hommes et tatouages pour les femmes. Mains calleuses. Une terre tenace sous les ongles. L'occasionnel a la dignité malmenée. Ces mendiants-là habitent la pauvreté qui ne bénéficie d'aucune statistique, si on peut dire. Combien sont nos pauvres ? Quel est le seuil de pauvreté, comme on dit dans les pays riches ? On ne croit pas que tous les gens qui manquent de dignité sont des mendiants. Cela mène à la corruption. Celle-ci s'apparente à la mendicité. Sauf que ce commerce a un objet double. Vendre sa dignité et un service. La rémunération est naturellement en conséquence.