Dans le fond, la nouvelle réforme insiste sur les langues, les soft skills, le digital..., mais rate le coche au niveau de la forme. Les conditions d'enseignement (surcharge, manque de moyens et de motivation des profs) posent la lancinante question des moyens. Une nouvelle crise dans le secteur de l'enseignement pointerait-elle à l'horizon ? Après le long bras de fer avec les étudiants en médecine, Saïd Amzazi croise désormais le fer avec l'université, les enseignants du cycle supérieur et les syndicats de l'enseignement. Le ministre de l'Education veut passer une réforme pédagogique éclair, au nom barbare en arabe «Bakalorios» qui se traduit par Bachelor ou pour simplifier : licence. Une attitude qui a provoqué une levée de boucliers et augure d'un blocage si le département de tutelle ne change pas de modus operandi. En réaction au forcing du ministère, le président de la filière du droit et des sciences politique à la faculté des sciences juridiques d'Agdal (Rabat) a adressé une lettre au doyen de la même faculté dans laquelle il met en exergue la précipitation ayant marqué cette consultation. Pr. Hamid Dlimi explique que sa filière a reçu le projet de Cahier de normes pédagogiques (CNP) pour le cycle de la licence le 22 octobre avec exigence de rendre la copie, avec propositions et idées, le 29 du mois. Soit une semaine pour concocter des remarques sur ce projet de réforme d'une portée capitale puisqu'il rétablit la licence à quatre années au lieu de trois ans. Rappelons que la licence à trois années a été établie en 2003 après plus de 20 ans d'expérimentation de celle à quatre années. Pourquoi Amzazi tient à revenir à une expérience qui apparemment n'a pas donné les résultats escomptés ? Contacté par Les Inspirations ECO, le ministère n'a pas donné suite à notre requête. En tout cas, l'Education veut boucler sa réforme et la rendre opérationnelle au plus tard fin décembre pour une mise en œuvre dès la rentrée universitaire prochaine.Toutefois, les enseignants et responsables de filières dans les différentes universités du royaume n'en ont cure. Ils critiquent le fait que le ministère ne les aient pas dûment impliqués dans un processus d'échange sur le fond et la forme de ladite réforme. Le responsable de la filière de droit privé relevant de l'Université Abdelmalek Essaadi de Tétouan souligne à ce propos l'absence de toute approche participative. À l'instar de ses collègues dans les différentes facultés, il met d'abord en avant l'urgence d'améliorer les conditions matérielles et morales des enseignants. Au deuxième classement des priorités figure l'évaluation de l'ancienne ingénierie pédagogique pour en maîtriser les points faibles et les erreurs à éviter. Les enseignants veulent un meilleur taux d'encadrement et des conditions dignes d'un enseignement de qualité. Pour cela, il faut des moyens car la réforme adoptée par le ministère mise sur les langues, le développement personnel, les soft skills, le digital et l'apprentissage à distance. Dans le fonds, la réforme incarne tout ce dont un étudiant marocain peut rêver mais c'est dans la forme que le bât blesse avec le peu de moyen et de ressources humaines dont le département d'Amzazi dispose. Dans une faculté de 30.000 étudiants, par exemple, comment créer des groupes thématiques (langues, soft skills…) pour un nombre optimal d'étudiants. La Faculté de droit de Casablanca (route d'El Jadida) a accueilli cette année 10.000 nouveaux inscrits dont 40% quitteront le navire au bout de la première année. Les amphithéâtres conçus pour accueillir 400 étudiants se trouvent souvent pris d'assaut par le triple de ce nombre. Le transport par le biais des bus dits scolaires est de mauvaise qualité et se trouve très souvent en surcharge et sans les conditions minimales de sécurité. Dans ces conditions, les étudiants fraîchement inscrits se trouvent confrontés à une situation peu ou prou propice à l'apprentissage. Par ailleurs, si la réforme est appliquée, le système des crédits à points sera appliqué au lieu de celui des épreuves classiques en modules. Plus en détail, une licence correspondra à 230 ou 260 points qu'il faut avoir pour réussir à raison de 30 points par semestre. Il s'agit-là d'un changement radical auquel, les enseignants doivent être préparés. Ces derniers craignent de se retrouver dans une situation où ils seront encore plus sollicités avec le peu de moyens dont ils disposent. À plus forte raison que les crédits de paiement au titre de l'investissement du département de l'Education nationale dans son ensemble au titre du PLF 2020 sont d'à peine 7,1 MMDH contre 6,8 MMDH en 2019 mais un effort considérable a été consacré à la rubrique «personnel» dont le budget passe de 41,3 MMDH en 2019 à 49,3 MMDH dans le PLF 2020. S'ajoute à cela 2,1 MMDH supplémentaires pour tout ce qui est matériel et dépenses diverses. Il faut dire que ce n'est jamais assez quand il s'agit de mettre en marche une réforme aussi radicale.