Malgré les lois et une bonne politique territoriale, les inégalités persistent et le rôle de l'Etat revient au-devant de la scène. Les dépenses des collectivités territoriales en 2018 ne constitue que 10% des dépenses globales et 19,5% des dépenses d'investissement. Les finances locales sont aujourd'hui au cœur du débat qui bat son plein au Maroc sur la décentralisation et la capacité des territoires à mieux se prendre en charge. Ce fut le sujet de la 13e édition du Colloque international sur les finances publiques, organisée vendredi et samedi à Rabat, par le ministère des Finances et l'Association pour la fondation internationale des finances publiques (Fondafip). Il a fallu répondre à des questions devenues pressantes : les collectivités territoriales disposent-elles aujourd'hui des moyens financiers et humains nécessaires à leur essor ? Quelles sont les possibilités dont elles disposent pour améliorer leur gouvernance et participer à l'effort de développement global du pays ? Et surtout, disposent-elles des managers capables de défendre les projets et d'aller au bout des obstacles ? D'entrée de jeu, Mohamed Benchaaboun plante le décor en soulignant que malgré une croissance de 4% en moyenne par an depuis 10 ans, une stratégie de pilotage et de sauvegarde des équilibres concluante, ce taux demeure inférieur à ce qui est observé dans les pays émergents pour réduire les inégalités et le chômage des jeunes. Le ministre de l'Economie et des finances n'y est pas allé de main morte en insistant sur la question des moyens qui revient avec acuité en rapport avec les finances locales. «Les ressources financières sont une denrée rare. Il s'agit donc de gérer cette rareté et trouver de nouvelles sources pour l'Etat», a-t-il suggéré. Pour le ministre, il serait intéressant de renforcer les recettes non fiscales, tandis que la question de l'emprunt se pose à travers le prisme du niveau de la dette qu'il faut prendre sérieusement en compte. S'ajoute à cela, un autre aspect mis en avant par le rapport de la Cour des comptes sur la fiscalité locale en 2015, à savoir la nécessité d'améliorer et de moderniser l'aspect législatif. Il est besoin d'un modèle au niveau des défis du moment qui soit souple et s'adapte à son environnement. Cela passe par un cadre de référence nouveau à travers la liberté d'action et la créativité. Certes, le Maroc dispose des prérequis pour une bonne gestion territoriale. L'adoption de la Charte de déconcentration en 2018 ainsi que les schémas directeurs de décentralisation balisent le terrain à une nouvelle politique territoriale. En attestent aussi les lois organiques adoptées en 2015 et la mise en place de la subsidiarité pour définir les périmètres d'action de chacun. Sans perdre de vue la réforme des Centres régionaux d'investissement. Et aujourd'hui, le gouvernement prépare un projet de loi-cadre relative à la réforme de la fiscalité suite aux recommandations des assises de mai dernier. Intervenant à l'occasion, Hélène Le Gal, ambassadrice de France au Maroc, a souligné que dans un monde où la mondialisation est perçue comme un accélérateur d'inégalité, l'action locale devient primordiale pour réduire les inégalités territoriales. Pour elle, au Maroc comme en France, le sujet de la réduction des inégalités territoriales se pose avec insistance. Elle a cité, à ce propos, la dynamique lancée en France à travers un nouvel acte de décentralisation ayant trait à la mobilité, aux services de proximité, à l'environnement ainsi qu'une nouvelle architecture fiscale grâce notamment à la récente suppression de la taxe d'habitation pour 80% des Français. Pour sa part, Noureddine Bensouda a posé la question sur quel financement pour les collectivités territoriales dont les ressources demeurent limitées ? La réponse vient tout simplement à travers une meilleure gouvernance et le respect du droit et la responsabilité de chacun. Le Trésorier général du Royaume a indiqué, dans ce sens, que 88% des ressources fiscales des CT proviennent des recettes fiscales transférées ou générées par l'Etat. Les deux-tiers des recettes fiscales des CT proviennent, en effet, de la TVA (30%), l'IS (5%) et l'IR (5%). Toutefois, il y a un risque de dépendance alors que les exonérations, abattements et réductions d'impôts amenuisent les ressources fiscales de l'Etat depuis quelques années. Bensouda n'a pas eu tort de mentionner que la concentration des impôts provient d'une forte concentration économique et financière entre les mains d'un nombre réduit de citoyens. Ces derniers font du lobbying pour un système fiscal en leur faveur. La réforme du système fiscal passe par une réduction effective des incitations fiscales combinée à l'élargissement de l'assiette. L'impôt devant participer à une répartition équitable de la richesse. Mais il faut savoir aussi que les CT n'ont pas encore cette force de frappe pour se prévaloir comme acteur majeur dans le développement. En effet, le volume des dépenses des CT en 2018 ne constitue que 10% des dépenses globales et 19,5% des dépenses d'investissement. C'est un indicateur fort du niveau de décentralisation au Maroc. En France, les CT ont réalisé 70% de l'investissement public en 2015 et 57% en 2018. Plus encore, les délégations de crédits au profit des sous-ordonnateurs régionaux, préfectoraux et provinciaux n'ont représenté que 7% des crédits du budget de l'Etat, tandis que 25% de ces délégations n'ont été effectuées que durant le deuxième semestre. Pour Bensouda, les dépenses des CT doivent aujourd'hui s'inscrire dans une démarche triennale pour une meilleure visibilité tout en dématérialisant les procédures. Parmi les pistes d'amélioration, figure également un cadrage des finances locales autour de la loi et des dispositions constitutionnelle pour réduire les inégalités. L'accès à la commande locale doit être plus transparent. Et Bensouda de tonner que certaines CT spolient les citoyens lors d'expropriations immobilières en proposant des prix très inférieurs à ceux du marché, les obligeants à ester en justice pour récupérer leur dû. Et surtout, les CT sont appelées à mettre en place une comptabilité d'exercice qui reflète le patrimoine local et servir de support à la reddition des comptes. Pour Khalid Safir, Wali directeur général des collectivités locales, le dispositif fiscal souffre d'incohérences qui se sont aggravées suite à l'évolution extraordinaire de l'environnement juridique, économique et social. Et d'ajouter qu'il est désormais une nécessité de mettre fin à cet éclatement institutionnel, en confiant la gestion des taxes locales et des redevances à la même structure, en repensant le cadre de gestion des taxes et redevances et en instituant un organe de pilotage au niveau national. 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Noureddine Boutayeb Ministre délégué à l'Intérieural On ne sait pas vers qui transférer». Aujourd'hui, nous avons besoin d'une bonne gouvernance locale, basée sur l'optimisation des dépenses, la mise en place de l'audit interne et la gestion des risques. Notre décentralisation est jeune. Elle n'a que quatre décennies depuis la Charte communale de 1976. Toutefois, l'on constate aujourd'hui l'existence d'une problématique liée aux champs de compétences et aux prérogatives transférables. On ne sait pas vers qui on va transférer en l'absence de structures régionales bien établies face à l'organisation et la complexité des processus, dont seuls les ministères disposent, aujourd'hui. Dans ce contexte, l'Etat doit accompagner les collectivités de manière volontariste. Car, il n'y a pas d'adéquation entre les compétences locales et les moyens dont elles disposent.