«L'intégration financière est le corollaire de l'intégration économique africaine», avance Jean Luc Koffi Vovor, spécialiste de la finance africaine et initiateur du projet «Kusuntu». C'est dire qu'à l'heure ou d'éminents panélistes échangent des idées sur les moyens de faire avancer l'intégration économique africaine, au forum de Rabat, qui s'est tenu le 25 janvier, la question de la convergence financière occupe une place centrale. En fait, la problématique se pose en termes clairs comme le signifie Karim Hajji, directeur de la Bourse des valeurs de Casablanca : «L'essentiel du financement en Afrique se fait via les voies classiques, à savoir les banques». La part des banques dans le financement atteint même les 90%. Trop de bourses, tue la Bourse ! Il reste donc beaucoup à faire pour que les bourses africaines jouent leur rôle de relais dans le financement de l'économie. Aussi, le patron de la Bourse casablancaise explique que «l'on aurait tout intérêt à envisager des bourses régionales», car «22 bourses sur un continent dont le PIB global reste modeste, c'est beaucoup», estime-t-il. Toutefois, beaucoup d'obstacles, notamment de nature juridique, peuvent freiner le regroupement des bourses africaines. «La majorité des bourses africaines ont un statut étatique ou celui de coopérative. Elles ne peuvent donc se rapprocher pour des raisons juridiques», étaye Hajji. Saïd Ibrahimi insiste sur la nécessité de l'intégration financière africaine dans un souci d'échelle. «On doit prendre conscience que nos économies sont de petites tailles et que nos projets ne sont pas visibles dans les radars des investisseurs internationaux», souligne-t-il avant de plaider : «Il est donc nécessaire de développer l'intégration pour constituer un bloc homogène et attractif», avec «des bourses régionales de tailles significatives». Aussi, pour aller dans ce sens, il faudrait baliser les terrains en mettant en place un certain nombre de pré-requis. Pré-requis de l'intégration Le premier d'entre eux a trait à la nécessité de reconnaissance mutuelle des régulateurs des marchés financiers dans les pays en question. La convertibilité des monnaies peut aussi constituer un pré-requis important, même si elle paraît difficile à réaliser du moins à court terme. Mais, le pré-requis le plus urgent reste l'harmonisation comptable que Karim Hajji souhaite inscrire dans le cadre des normes IFRS. En attendant, certaines entreprises africaines, notamment ivoiriennes et sénégalaises, enjambent le Maroc pour aller lever des fonds à Paris ou à Londres. Ce qui représente une mauvaise nouvelle pour le Maroc qui entend s'affirmer comme hub financier vers l'Afrique. Alors que faut-il faire pour rectifier le tir. «C'est une question de marketing», répond tout de go Patricia Cissé, directrice générale d'Africa Investement and Business Advisers, avant d'y aller de son conseil à ses homologues marocains : «Les agents de courtage marocains doivent commencer à lister les entreprises africaines qui souhaitent lever des fonds». Le patron de la Bourse marocaine défend ses actions et met en avant la caravane de la bourse en Afrique. Cependant, il parait évident que les efforts doivent se multiplier dans ce sens. Le rôle de Casablanca Finances City est à cet effet primordial. Cette place financière représente le vecteur le plus important pour les velléités marocaines en la matière. Il s'agit avant tout d'attirer les investisseurs financiers, car leurs venues attireront sans doute les entreprises qui souhaitent lever des fonds. Toujours est-il que malgré les obstacles, l'intégration financière représente le chemin le plus court vers l'intégration africaine. Penser différemment «Essayons de penser différemment», plaide Jean Luc Koffi Vovor en hommage au défunt patron d'Apple, Steve Jobs, avant de signifier qu'une union financière est un objectif plus réalisable qu'une union politique. Il en veut pour preuve l'expérience édifiante d'Eco Banque qui dit-il a un statut diplomatique et transcende les frontières terrestres des Etats africains. «Les hommes d'affaires africains sont plus prompts à faire avancer l'intégration de manière plus rapide et plus efficace que les hommes politiques», pense-t-il. Côté marocain la chose est entendue et personne ne remet plus en cause le rôle de tête de pont que jouent Attijariwafa Bank ou BMCE dans les velléités africaines du royaume. Leur présence désormais étendue est un vecteur de promotion de la diplomatie économique marocaine en Afrique. C'est en fait la première pierre d'un édifice qui ne sera parachevé qu'avec l'affirmation du Maroc en tant que Hub vers l'Afrique. L'exemple BAD «Dans toutes les tentatives d'intégration financière qu'a connues l'Afrique, il n'y a que la Banque africaine de développement (BAD) qui, malgré sa lenteur a réussi», estime Dabo Sanoussy, économiste et conseiller du président de la République de Guinée. La BAD s'est en fait affirmée ces dernières années comme l'instrument financier le plus puissant en Afrique. Créée en 1964 elle regroupe parmi ses actionnaires 53 pays africains en plus de 24 autres non africains. Aussi, elle représente un exemple édifiant de la coopération financière africaine, dont le Maroc est d'ailleurs le principal bénéficiaire. Elle fait de la diversité géographique de ses ressources humaines un atout sur lequel elle capitalise. Aussi, ces dernières années, dans le cadre de sa politique de décentralisation visant à rapprocher les opérations du Groupe, de leurs bénéficiaires, la BAD a ouvert 23 bureaux extérieurs en Afrique. Le seul reproche que l'on fait à cette institution reste sa relative lenteur. In fine, cette institution doit être prise comme exemple à dupliquer dans le chantier de la convergence financière africaine. Lire aussi : L'interview de Saïd Ibrahimi, DG du Moroccan Financial Board : «La mise en œuvre d'une place régionale est complexe»