Le forum de Rabat s'est ouvert sur une déclaration diplomatique d'envergure. «Le Maroc adoptera une coopération avec l'Afrique à travers une approche par blocs». Les propos de Youssef Amrani, nouveau ministre délégué aux Affaires étrangères et de la coopération, ont ouvert le débat et donné le ton. L'événement, qui est désormais un élément incontournable de la coopération régionale africaine, a été l'occasion pour l'ancien secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée de dérouler les grands axes directeurs de la nouvelle stratégie diplomatique du royaume. Cette approche fixe d'ores et déjà les priorités du Maroc en matière d'intégration africaine et donne de fait un rôle prépondérant aux acteurs économiques qui devront suivre. Une «synergie entre les différents acteurs professionnels du Maroc, mais également du continent», est donc essentielle, comme le souligne Amrani, tout en assurant «une facilitation de l'acte d'entreprendre». Cette diplomatie économique offensive dévoile déjà l'ensemble des niches qu'offre le continent noir et dans lequel le savoir-faire entrepreneurial marocain doit jouer un rôle moteur. Rénover les partenariats Une fois la machine en marche, il se dégagerait donc naturellement un nouveau modèle de partenariat rénové, où l'élément humain occupera une place fondamentale. La lecture qui pourrait, dans un deuxième temps, se faire de l'intervention du ministre délégué serait d'y voir incontestablement un message clé, la volonté de faire émerger des actes et d'aller au-delà de la théorie. «Pourquoi aller chercher ailleurs les investissements, adaptés à nos moyens, et qui plus est se trouvent sur notre continent?». C'est bien l'interrogation qui revenait en boucle dans les discours des différents intervenants à la rencontre. Les différents panélistes se sont en effet exprimés d'une même voix pour défendre la promotion des échanges intra-africains, désormais vitaux dans cette région à fort potentiel de croissance. Aujourd'hui, 40% des échanges africains se font avec des pays du Sud. Pourquoi donc ne pas stimuler les échanges régionaux? Il serait ainsi, dès à présent, essentiel d'exploiter l'«exception africaine» de croissance, comme le soulignait hier Mohamed Benamour, président du Conseil de développement social (CDS) et organisateur de l'évènement. L'émergence d'une classe moyenne, l'augmentation de la population active, l'urbanisation croissante et le développement d'une classe d'hommes d'affaires sont autant de facteurs qui confirment la nécessité d'harmoniser les investissements entre les pays africains. Cette harmonisation passerait essentiellement par une bonne intégration africaine. Certains intervenants ont souligné en filigrane le concept de «régionalisation de facto». Celle-ci s'articulerait via des exemples concrets que sont le Kenya dans l'East African Comunity ou encore le Maroc dans l'UMA ou dans ses échanges avec les pays d'Afrique de l'Ouest. Un point d'optimisme ? Pas vraiment... l'intégration régionale continue d'être minée par un certain nombre de dysfonctionnements et de blocages qui restent à démanteler. ... Par des réformes chirurgicales Pour assurer une bonne stratégie d'intégration, encore faut-il en déterminer les failles. Pour Oumar Yugo, le Président du Cercle international des décideurs (CID), «les pays gagneraient beaucoup en réformant leurs institutions et leurs économies». Dans ce même ordre d'idées, les panélistes ont tous souligné la nécessité de «coordonner» les traités en vigueur pour éviter les doublons. C'est à juste titre ce que souligne le consultant auprès de la Banque mondiale, Anicet Georges Dologuélé, en mettant l'accent sur l'UMOA et le CDAO, qui opèrent dans la même région. Dans la substance même de la problématique, les textes régissant les accords sont très différents d'une région à l'autre. Pour le Maroc, l'enjeu est de conjuguer ses actions avec la double responsabilité du Maghreb, notamment après les bouleversements opérés dans la région suite au printemps arabe. Dans ce sens, l'enjeu de la reconstruction de l'UMA devient de plus en plus pressant, afin que cet espace de coopération puisse devenir une véritable force de proposition dans le cadre de l'intégration africaine. Les mesures à prendre ainsi identifiées, il reste alors à faire émerger les actions concrètes. Cap sur la concrétisation C'est le mot d'ordre qui a été souligné par l'Agence marocaine de développement des investissements (AMDI) par l'intervention de son président, Fathallah Sijilmassi. Dans ce sens, le Maroc devra inscrire son action en concertation avec ses «frères africains», en tant que hub régional, de par son positionnement géographique. La concrétisation des actions s'est déjà traduite au niveau local par des infrastructures telles que le port de Tanger Med ou encore le renforcement du transport aérien de Casablanca. Ces initiatives auraient transformé la position géographique en point d'action de stratégie. Mais au-delà de ces considérations d'actions locales, certains acteurs économiques nationaux, notamment dans le secteur bancaire ou encore les assurances, ont été pionniers dans l'investissement intra-africain. C'est le cas entre autres du groupe Attijariwafa bank ou encore du groupe Saham, qui maintiennent une activité riche sur le continent et tendent à acquérir une stature internationale. Ce sont à juste titre de ces exemples que les investisseurs africains et plus précisèment les marocains, devront s'inspirer pour assurer l'intégration africaine que le continent aspirer à réaliser dans le cadre de son processus de développement. En tout état de cause, il ont plusieurs cartes en main, qu'il devront exploiter à bon escient. Dixit... « Nous essayons bien souvent de trouver très loin, ce qui s'offre à nous très proche. D'autant plus que les projets d'implantation en Afrique se développent généralement plus rapidement et mieux que ceux réalisés en Europe où le marché est saturé. J'ai la conviction que si nous agissons ensemble, de manière mieux organisée, avec une meilleure intégration et une meilleure préparation, l'Afrique pourra prendre place, au bon niveau, dans le concept économique mondial. C'est dans ce sens que le Forum de rabat se veut être une plateforme africaine, au service de tout un chacun ». Moulay Hafid Elalamy, Président du groupe Saham. «L'intégration entrepreneuriale précède et prépare l'intégration régionale et économique. Celles-ci restent tributaires d'une forte volonté politique qui fasse le pari de l'abandon partiel de souveraineté économique, monétaire budgétaire, fiscale ... et recueille la bénédiction des instances constitutionnelles et des peuples au nom du crédo démocratique». Brahim Benjelloun Touimi, Administrateur directeur général de BMCE Bank. «Le renforcement de l'intégration africaine est un passage obligé pour accélérer la croissance du continent. Aujourd'hui, le Maroc a une politique de coopération très active avec les pays africains. Je pense, dans ce contexte, que pour tous les investisseurs désireux de s'engager dans l'investissement africain, il est nécessaire de faire un travail préalable afin de mesurer la politique économique et le niveau de gouvernance dans les pays qu'ils souhaitent investir afin d'éviter tous dysfonctionnements». Abdeslam Ahizoune, Président du directoire de Maroc Telecom. «Le secteur le plus important dans la région, reste l'énergie. Toute l'Afrique consomme environ 140 GW, ce qui représente pratiquement la consommation de l'Allemagne. Les autres investissements aussi bien agroalimentaires, que miniers dépendent donc entièrement des ressources énergétiques du pays». Hamed Sow, Conseiller spécial du Président malien. «Les opérateurs africains peuvent se targuer aujourd'hui d'être une destination de choix. La seule émergence de cette région du monde dépend inévitablement de l'intégration économique de la région. Une intégration qui passera sans aucun doute par l'unification de la monnaie africaine, un projet certes ambitieux mais envisagé par la Banque centrale à l'horizon 2021». Anicet Georges Dologuélé, consultant auprès de la Banque mondiale, ancien président de la Banque des Etats d'Afrique Centrale (BDEAC).